melbourne aboriginal

du 5 au 20 novembre 2017 nov. 5th to 20th (see english below/ to come)

ici, tout autour, on a parlé — on parle encore, un peu — le bidawal, le keerraywoorroong (et ses deux dialectes, le giraiwurrung et le wirngilgnad-dhalinanong), le dhauwurd wurrung, le woiwurrung, le dja dja wurrung, le boonwurrung, le taungurung, le wathaurong, le wergaia, le wemba wemba, le dadi dadi, le latji latji, le wadi wadi, le weki weki, le jarwadjali, le djab wurrung, le mogullumbidj, le wayvurru, le bangerang, et le yorta yorta, le taungurung

premiers jours : au victorian aboriginal center for language, hanover street, Melbourne center (close to/outside the free tram zone)
entrer n’est pas simple, décliner son identité et celle de son projet pour pouvoir entrer, en attendant cela se fait sur le seuil, la porte à peine entrebâillée

les langues des peuples premiers de l’Etat de Victoria sont des revival languages, en grande fragilité mais dont les communautés aborigènes se sont emparé et mènent des actions, notamment auprès des jeunes, pour revitaliser et faire revivre leur langue

ce qui signifie que l’approche pour moi sera complexe, s’il y a une approche possible

la langue ici est le bien de ceux qui la parlent, est leur patrimoine
donc, quiconque veut utiliser, d’une manière ou d’une autre, la langue, doit rencontrer les représentants de chaque peuple premier, et leur présenter son projet, et pourra peut-être faire quelque chose
certains, au stade de revitalisation de leur langue, ne souhaitent pas partager avec des étrangers, me dit-on

en préparant le voyage depuis la france, l’accès aux langues aborigènes m’avait déjà semblé complexe, voire impossible de loin
une sensation de barrage, quelque chose d’une opacité profonde
de près, sur le sol d’ici, cela se confirme, c’est d’emblée très sensible, au coeur de la présence à soi

« language is not neutral but reflects the hierarchical relations of society as a whole – it is a terrain for the struggle of meanings, dominated by the most powerful groups in society. new language can help us challenge these relations »
D. Welch (Freedom 19.3.94)

non pas la citation, tirée d’un recueil de poèmes, mais la situation, me rappelle ce qui, à Budapest et à Yokohama, a eu lieu, de la part de certains : la langue est un territoire , donc un lieu de tension puisque colonisable, envahissable
ce qui est au coeur de la nature même de la langue
puisque, à moins d’être portée par un peuple qui vit isolé, elle ne peut être que dans la porosité à l’autre, puisque tout contact en modifie la nature, à plus ou moins long terme, et de manière plus ou moins intense et durable
le langage comme être vivant, toujours, comme parasite

barrawigangu djudjuwa dagi
few-ERG (ngu) snake kill-past
quelques-uns ont tué un serpent

dhudhuroa language (extinct)

 

barbelés 1barbelés 2

(forms of settlement)

la terre ainsi appropriée

 

c’est la première fois
à ce point
la première fois
que la langue est un enjeu tel

c’est
ici, à Melbourne, dans l’Etat de Victoria
c’est-à-dire selon une partition de la terre
venue de l’extérieur
c’est-à-dire selon des règles étrangères devenues des règles intérieures

ici,
à un moment où les langues sont en état de revival language
où des langues plus parlées, ou par fragment — comme le taungurung, sur lequel
je tente de travailler — reviennent peu à peu dans les bouches
réhabitent les bouches et les corps
se font entendre et se font dire

la langue ainsi est le signe partagé, où le but à atteindre
qui réunit et soude un ensemble d’être
issus de cette langue
qui a été perdue
sous les coups d’un extérieur devenu intérieur, depuis longtemps

la langue est une identité
au-delà de cela même
c’est ce qui appartient
ce qui n’est pas la langue de l’oppresseur
la langue comme le lieu d’une communauté d’être(s)

peut-elle, alors, être aussi un moment d’un projet comme « glossolalie/unventer » ?
comment être (un peu) dans cette langue sans être de la communauté qui la porte

ici, chaque langue est protégée par un (ou plusieurs) Traditional Owner(s)
comme fragile, elle est un patrimoine à préserver et/ou à reconstruire pour chaque nation/communauté des premiers habitants
comment, alors, de l’extérieur où je suis — de fait et à jamais — écrire

quelle position. y-a-t-il une position possible ?
« glossolalie/unventer » transporte/emporte modifie les faits de langues, les langues

comment, alors, porter/écrire une langue qui appartient ?

 

suis resté bloqué jusqu’à aujourd’hui dimanche
dans un interdit une impossibilité d’en faire quoi que ce soit
rester ainsi en suspens depuis deux jours…

et puis quelque chose est venu comme un texte d’ici un texte qui ne m’appartient pas
un texte qui n’est pas d’où je viens
un texte qui est d’ici, qui pourrait être d’ici, qui est un texte ici

travailler ainsi dans une langue éteinte, qui s’arrache à l’inexistant par l’opiniâtre
du peuple taungurung de la nation kulin
qui suis-je pour intervenir ainsi dans ce processus ?

de quel droit, quand la langue est un tel enjeu de reprise d’une identité forte ?

ce sera l’objet d’une discussion ce soir, et de la rencontre avec des owners de la nation taungurung.

il y a là quelque chose de crucial, non-mesurable. cela semble simple, dans ce premier temps de l’approche, d’utiliser les éléments à disposition et d’entrer ainsi dans la langue morte. mais avec cette dimension très spécifique à cette culture aborigène, où le mot fait littéralement exister le monde, qu’est-ce que veut dire alors écrire une langue en y étant étranger. cette même question qui revient à chaque fois, mais qui ici se dramatise, puisque la poser c’est immédiatement — en tout cas, je vis dans ce sentiment — être dans l’écho de la violence faite aux peuples d’ici, c’est être en écho aux sorry books, ces innombrables livres de doléances (le mot est trop faible) où est déposée la mémoire de ce qui a eu lieu

alors, cette position que j’ai depuis le début de l’aventure en langues, est-elle possible dans ces conditions. ou justement, oui. en négociation. une dimension de l’écriture, indéfiniment

une négociation avec les puissances du réel pour que l’expression soit, au plus près, au plus juste du moment où. qu’ainsi ce moment se conserve dans cet écho atténué du dit

que le jeu des interstices entre la forme du dire et le réel soit au plus juste

à voyager ainsi dans le réel de l’usage des langues, et de leurs enjeux là où elles sont parlées, ou là où on veut à nouveau les faire parler, être parmi les corps en langues et rester tragiquement au loin…

alors, l’écriture d’un texte dans la langue, bien plus que le parler, est un acte de rapprochement, ambivalent cependant (voir les conditions historiques de l’approche des langues par les blancs*)

dans le cadre de « glossolalie/unventer », c’est emprunter le temps d’un poème une langue autre pour donc écrire des moments du monde à partir de chacun de ces points de langues, en déplaçant sans cesse le point de départ, alors jamais une langue plus qu’une autre, jamais une langue ne l’emporte

*apprendre la langue de l’autre pour y importer ses idées/sa religion/comprendre pour vaincre, c’est en entrant dans les langues que les missionnaires ont diffusé la religion chrétienne là où elle n’aurait rien à voir…

à chaque nouvelle langue, retrouver cette sensation totalement inconfortable, aux limites du chaos, d’être à nouveau un total étranger, d’avoir ainsi un immense chemin à parcourir pour entrer en matière d’être

cette question de l’étranger est sans fin, et la question n’est pas dans sa résolution, évidemment impossible. non plus que de créer du même, mais sans doute est-ce rendre perceptible, ainsi, langue après langue, la distance, l’infinie distance entre les êtres, quand la promesse du rapprochement par le lissage en diminue tout relief, donc toute dimension réelle

ici, à Melbourne — comme partout où il y a eu settlement, c’est-à-dire occupation par des puissances d’un autre temps, puisqu’à chaque fois l’occupation est celle d’un temps autre dont les outils sont plus rapides et plus mortels pour l’être — je marche dans des dimensions de l’arasement et du recouvrement, sans doute la est le difficile du moment — de complexité il y en a partout — ici elle tient — si j’y pense, comme à KL — dans ce qui est les signes de la victoire

mordre sur le réel, écrire pour mordre le réel

marcher selon le plan de l’occupation, orthonormé alors que partout, dessous, se sentent les vagues d’un sens autre

c’est cette douleur dont il est question, qui à chaque pas, englue le mouvement : marcher sur un autre plan

les peuples premiers aborigènes sont
dans le désert
en prison
ou invisibles (quand on n’a pas d’yeux)
seuls, les (assez rares) noms de lieux sont des traces

c’est un jeu de piste, ici, de trouver une langue, de trouver ceux qui la parlent. situation inédite au cours de ce voyage, fort intéressante

cela déplace encore les enjeux, déplace la quête

hier, après avoir rencontré the Elder Carolyn Briggs, une owner Boon Wuurung :

IMG_9694
© serge thomann

ce qui a lieu, ici, est bien un moment historique, en ce moment, issu d’années de recherches et de volonté : redonner vie aux langues devenues mortes à cause des politiques d’assimilation menées jusqu’il y a peu, assimilation = perte de sa propre langue pour épouser celle du plus fort —ce qui rappellerait mutatis mutandis les efforts couronnés de succès pour éradiquer les langues régionales en france, il y a plus d’un siècle. partout, ainsi, les mêmes schémas patterns

alors, aujourd’hui, être à cette croisée temporelle de renaissance est une intense émotion, un moment de passage de sens d’une génération à une autre, à celle qui va réinventer la langue en y créant les mots nécessaires à la vie d’aujourd’hui, ainsi réinventer un monde oblitéré

où il est question des droits aborigènes au moment de l’annonce des résultats pour le mariage equality. et ce que ça dit de la place de chacun, même si…

 

quelques temps après les deux heures de temps avec Elder Carolyn Briggs, à propos de son travail de revitalisation de sa langue, le Boon Wuurung. moment crucial, dont les enjeux sont innombrables, se souvenir, entendre encore les anciennes et à partir de cet entendre former l’écrit des mots

penser aussi aux possum cloaks, ces capes de récit : sur chacune des peaux de possum cousues ensemble, un fragment d’un récit qui tout entier est sur la cape. un récit dessiné, le récit du clan, ou un fragment de récit du clan. c’est-à-dire être ainsi littéralement, quand on porte la cape, environné du récit, la chaleur des symboles à même la peau humaine, le corps et l’être tout entier enveloppés dans le récit

à partir de cela et des syllabaires africains, par exemple, parlé avec Elder Carolyn Briggs de cette alternative possible, pour écrire sa langue, d’inventer des signes, en parallèle à la transcription qui en est faite en caractères latins. de manière à ce que la transcription soit dédiée à la langue, et non une adaptation phonétique. m’a parlé de la graphie arabe, qui semble plus adaptée aux sonorités…

c’est profondément émouvant, ce moment précis de rebuild, et de discuter de ce que cela implique. from the inner side, and not an outside white position. what is at stake, there, when the last language speakers take in hand the writing, suddenly (year after year, of course, it’s a longlasting « journey » — as she say), it’s thousands of years of knowledge, the depths of the language with which they work, their forgotten but mother tongue language which is rebuild, word by word, around known or heard stories

choisir, insister sur telle ou telle dimension de tel ou tel mot, telle expression, et retravailler infiniment puisque des éléments se précisent au fur et à mesure

prendre date ainsi pour les générations à venir, transmettre cette responsabilité à un/e autre elder. se souvenir des rituels, que dans la fumée est le monde, savoir ainsi que le mot fumée est plein de ce savoir, contrairement à smoke quand on dit smoke

qu’ainsi le mot est le son d’un savoir, est une profondeur et une immensité temporelle repliée en un son modulé (et maintenant dessiné par des lettres)

écrire pour garder la trace, créer des apps, some 21th ctury skills pour la transmission

drawing the language

 

 

where are the people (with Elder Carolyn Briggs, @ the State Library, Melbourne, when results for the Yes to Marriage Equality)

 

la langue est une histoire des vivants (a journey with Elder Boon Wurrung Carolyn Briggs in her language and culture

et une histoire d’émeu (récit et voix de Elder Boon Wurrung Carolyn Briggs)

s’étonner, qu’à la différence des images aborigènes lancées de par le monde, ici, le clair de la peau domine : où sont-ils ? sous les peaux claires, donc, après les massacres d’une rare violence, les enfermements, déplacements forcés, séparations des familles, placements en mission et mariages, pour blanchir et assimiler, donc faire disparaître : réfugiés sur leur propre terre

rencontre avec Aunty Lee Healy, taungurung elder, jeudi 16 novembre, à Broadford, dans l’arrière-pays de Melbourne. celle qui, épaulée par et dans le rêve de ses ancêtres, a travaillé avec l’ensemble des fragments de sa langue, dans les archives, et avec sa mémoire intime et clanique, et écrit le taungurung dictionary, et maintenant la grammaire. d’un point de vue aborigène, et pour son peuple. pour que la langue ne soit plus jamais oubliée, et que peu à peu, de génération en génération, sa langue revienne dans la bouche de tous. ce sera long, c’est un jeu, d’abord, ce sont les enfants qui, d’abord, se chargent des mots. qu’ainsi d’abord les mots taungurung (qui se prononce Dhaagungwurrung, mot à mot non + langage, le langage formé par les lèvres et l’air) viennent à l’esprit avant les mots anglais, et retrouver ainsi, par la langue, l’enracinement sonore et intime dans le biik, le territoire. retrouver le lien, broken after the massacres and forced movings…

moment absolument historique, dans ces territoires du sud, de languages in revival. la langue est ainsi, à ce point, essentielle, encore invisible (à peu de choses près), fragile mais le lieu même d’une renaissance. réinventée, donc, alors tout est à faire, et les nouveaux mots viendront avec les bouches qui les prononceront

lee healy
avec Auntie Lee Healy, dhaagung wurrung elder

 

et les étapes de travail pour ce texte
monmut-gurrin-dhan
a poem in dhaagung wurrung
to its revival and rebirth
dedicated to Aunty Lee Healy

 

une première version

gurnang marram-dhan gaydu-gaydu
ba baan
baan barring-djinang-bulok barrambun-a-nj

gabing-gurrin-dhan
monmut-dhan
wiitmalin
natbrogi
bulidu monmut-dhan
barnum-dhan
bunbunarik-dhan brunga biik-al
warreng-djerring-u-gurrin-dhan denna-bulok-al

djumi yanad-iyt-dhan waring-dui
marram-dhana ngabedin da nganga-gurrin

barramul-u mudjerr-ut nganga-nj
walert-u nganga-nj
darrang-biyp nganga-dhan
garrang-bulok nganga-dhan

waawarrap-u nganga-nj
darri-an-u nganga-nj
darrandel-biyp nganga-dhan
dji-angun-bullok nganga-dhan
damiyn-u nganga-nj

marundaa-bullok nganga-dhan
wuliip-biyp nganga-dhan

djumi naalanba-dhan djungu warrit biik
dandorring bagiin

djumi wegerri-dhan

 

relu et analysé par /read over and analyzed by Elder Auntie Lee Healy, today (nov 17th)… peu de changements, mais cela devient plus élégant
when the sharpness of expression lights up the form

gurnang gaydu gaydu-dhan
river walk along -them all
ba baan
and water
baan-dha barring djinang-bulok barrambun-a -dhan
water-action foot print – s erased -past tense -them all
(ça c’est typiquement ce à quoi je ne pense pas…)

gabing-dhan
white hawk-them all
monmut-dhan
cold wind-them all
wiitmalin
hot wind
natbrogi
west wind
bulidu monmut-dhan
strong wind -them all
barnum-dhan
grass -them all
bunbunarik-dhan brunga biik-al
children -them sand -of
derran-bulok-al warreng-dhan
seed -s -of sound -them

 

djumi gurnang-dui yanada-dhan
now river – under walk -them all
marram-dhana ngabun nganga-dhan
all of them invisible them-all

barramul-u mudjerr-dui numii-u nganga-nj
emu -he rock -on sit-present tense see-it
walert-u nganga-nj
possum –he see-it
darrang-biyp nganga-dhan
tree-some see-them
garrang-bulok nganga-dhan
wattle tree-‘s see-them

waawarrap-u nganga-nj
mimosa-s/he/it see-it
darrian-u nganga-nj
moth –s/he/it see-it
darrandel-biyp nganga-dhan
snake-some see-them
djiangun-bulok nganga-dhan
mulga tree-s see-them
damiyn-u nganga-nj
mouse – s/he/it see-it

marundaa-bulok nganga-dhan
pine tree-s see-them

wuliip-biyp nganga-dhan
tea tree-some see-them

djumi magali warriit biik-u naalanbi-dhan
now here far country-from live-them all
dandorring bagiin
like people not Taungurung
djumi wegerri-dhan
now come back-them all

monmut-gurrin-dhan
wind -are -them all
a poem in taungurrung, dedicated to its revival and rebirth

 

ce qui donne/now it is

gurnang gaydu gaydu-dhan
ba baan
baan-dha barring djinang-bulok barrambun-a -dhan

gabing-dha
monmut-dhan
wiitmalin
natbrogi
bulidu monmut-dhan
barnum-dhan
bunbunarik-dhan brunga biik-al
derran-bulok-al warreng-dhan

djumi gurnang-dui yanada-dhan
marram-dhana ngabun nganga-dhan

barramul-u mudjerr-dui numii-u nganga-nj
walert-u nganga-nj
darrang-biyp nganga-dhan
garrang-bulok nganga-dhan

waawarrap-u nganga-nj
darrian-u nganga-nj
darrandel-biyp nganga-dhan
djiangun-bulok nganga-dhan
damiyn-u nganga-nj

marundaa-bulok nganga-dhan
wuliip-biyp nganga-dhan

 

djumi magali warriit biik-u naalanbi-dhan
dandorring bagiin
djumi wegerri-dhan

 

 

il y a eu, ainsi, à melbourne, une quête : sous la ville, sous les rails de tram, à la place du quadrillage des rues et des avenues, à la place des tours et des théâtres, des cinémas et du marché, à la place des mots et des enseignes, des courbes, des cercles de temps, des traversées de présences. rien de nostalgique ici, simplement chercher ce qui est quand ce qui est sans fondement occupe le terrain

 

partout, chercher des signes d’infini quand tout ce qui est visible se délite dès qu’il est vu