te’eta, création d’un créole #1

cette intervention a été originellement publié sur http://hauntedbyalgorithms.net

 

le « te’eta »*

une langue à venir

état des lieux et approches

par frédéric dumond

flux mondialisés, superpositions des modes de vie, absorption et transformation des cultures. globalisation économique et culturelle réelle, nouveaux standards qui se veulent mondiaux, génériques

une seule langue accompagne ces mouvements de fond, lingua anglica** efficace et toute-puissante

pour autant, un nombre considérable de poches singulières, autonomes, subsistent, et loin de n’être qu’uniformisation, le mouvement de brassage crée des hybridations temporaires ou durables, selon les conditions

cela affecte considérablement les langues : si beaucoup disparaissent, d’autres naissent au gré des migrations, des déracinements qui mettent en contact des parlants d’horizons très éloignés. se créent ainsi, dans le temps, des langues de mélanges, sabirs, pidgins, dialectes de transition, langues de contact, débuts de créoles, créoles

* « te’eta » : nom probable de la langue autre qui est en train de se créer à partir du tzeltal et du tahitien. « te’eta » est issu du mélange des deux termes « tzeltal » et « tahitien », avec transformation, transformation qui est ici dominée par la langue tahitienne, qui n’a ni le « l », ni le « z », ni le « s » comme consonne, et utilise beaucoup l’arrêt glottal « ‘ » .

** néologisme forgé à partir du terme lingua franca, langue véhiculaire mixte parlée pendant plusieurs siècles dans tout le bassin méditerranéen par les populations de toutes origines se côtoyant pour des raisons commerciales, conquérantes et toutes autres formes de migrations (emprisonnements, déplacements contraints, etc.). c’est devenu un terme générique pour désigner toute forme de langues véhiculaire servant à communiquer entre des peuples d’origines très disparates.

ainsi le « te’eta », une langue issue du contact entre deux langues existantes, absolument hétérogènes, le tzeltal (une langue maya, parlée au Mexique, par environ 250 000 personnes, dans des communautés anciennes de plusieurs centaines d’années, et dans des communautés plus récentes) et le tahitien, parlé en Polynésie française par environ 70 000 personnes

on suppose ici les différentes étapes qui mènent à cette langue mixte, en fondant sa création sur un ensemble de protocoles de mise en relation des deux langues d’origine. en prenant appui sur les modes d’hybridation de langues déjà existantes, on émet ainsi plusieurs hypothèses de logiques de mixité, points de départ d’un développement autonome qui fera l’objet d’observations ultérieures et d’une programmation en vue de créer les conditions d’une évolution autonome de cette langue autre qu’est le « te’eta »

le tzeltal et le tahitien sont choisis *** pour leur hétérogénéité, et parce qu’il n’y a a priori, vu la géopolitique actuelle, aucune raison qu’elles soient « naturellement » mises au contact l’une avec l’autre. ce sont des langues très éloignées, comme l’étaient les langues européennes quand elles sont entrées en contact avec les langues autochtones en Afrique, en Indonésie, dans les Amériques, en Asie, etc. quoi de commun, par exemple, entre le portugais et les groupes de langues bantues et kwa ? leur réunion forme pourtant le créole forro, parlé dans les îles de Sao Tomé et Principe

ainsi, dans un premier temps, des possibles de tranformation sont posés. comme une suite d’opérations logiques et probables de mélanges entre le tzeltal et la tahitien. ces opérations formeront la base de la programmatique à venir, qui permettra ensuite d’observer ce que deviendra cette proto-langue dans le temps

la mixité s’opèrera selon une combinatoire simple (transformation lexicale via modifications consonantiques et voyelliques, et adjonctions suffixales et/ou de particules (le système suffixal venant du tzeltal, le système à particules du tahitien).

puis au fur et à mesure du temps et du développement du projet, la complexité augmentera. d’une certaine manière, cela reviendra à lier la complexité programmatique à la complexité grandissante effective qui, dans le réel du contact des langues, a lieu quand deux (ou plus) langues se mêlent au fur et à mesure que le temps passe, que les populations vivent ensemble

cette expérience « te’eta » inédite explore/construit un terrain qui se veut proche de celui des rencontres forcées dues aux conditions historiques migratoires ou conquérantes que l’on connaît.

elle fait l’hypothèse qu’il est possible d’observer ainsi ce qui se passe d’une langue à l’autre, quelles opérations, quels types de transformations s’opèrent

la programmatique s’appuie sur des logiques de mutations linguistiques, en laissant un espace à l’aléatoire (un peu) — celui-ci étant entendu comme une image de l’expérience vécue par des locuteurs dans le « monde réel » du contact des langues

migrations et transformations, mues et mutations : une partie d’un lexique migre dans un autre, des règles de grammaire d’une des langues prennent le dessus, et d’autres s’hybrident, la forme même des mots change, se tord et devient une forme mixte, une forme entre-deux

le « te’eta », ainsi, ce pourrait ainsi être une langue des seuils, des marches. qui reste, se maintient, se stratifie, se solidifie, crée son propre terrain de langue, tant que la « société »/le programme qui l’a vu naître perdure et/ou se développe : la langue composite devient alors langue, s’est éloignée des formes premières

*** et parce que tous deux ont été récemment travaillés au sein de « glossolalie », forme textuelle, visuelle et sonore dans l’ensemble des langues de la planète (http://glossolal.ie)

approches

dans un premier temps, on part du principe que la langue tzeltal est la langue qui arrive en Polynésie française, donc la langue qui vient transformer le tahitien, en se modifiant notablement à son contact, notamment parce que la contrainte alphabétique est forte ( le tahitien a 5 voyelles et 8 consonnes, et trois signes diacritiques qui marquent l’occlusive glottale (partagé avec le tzeltal), la longueur vocalique et la combinaison des deux ; alors que le tzeltal a 12 consonnes, qui ne recoupent pas celles du tahitien)

abréviations

tahitien TA

tzeltal TZ

te’eta TE

A. quelques points grammaticaux

construction libre

soit VOS (verbe objet sujet) comme en TZ

soit V/P(rédicat) S O comme en TA

le caractère encore flottant de la construction caractérise l’état de la langue en formation. il faut noter cependant que cela peut parfaitement perdurer dans le temps, et le choix de l’une ou l’autre construction peut permettre de marquer, par exemple, une insistance sur le prédicat ou sur le verbe, modifiant ainsi l’intention du locuteur

1. exemples de trans-formation lexicale (avec possibilité d’évolution sémantique)

. mātā’are vague (TA)

+

-ub devenir (TZ)

devient en te’eta (TE)

> forme

mātāre-upa devenir agité-e (sens propre et figuré)

du tahitien (TA) mātā’are (vague)

+

suffixe tzeltal (TZ) -ub devenir

via deux transformations

ā’a se contracte en ā (avec allongement de la voyelle)

ub devient up + a (rejoint ainsi le mot autrefois peu usité en TA « upa » (danser) ce qui rend cohérent le glissement consonnantique et l’ajout « naturel » d’une voyelle finale courte

. ivi os, arête, squelette (TA)

+

up’

> forme

ipi-up’ durcir

ivi est devenu ipi, parce que le « v » tahitien n’existe pas en TZ. il se modifie donc en « p » en TE

de la même manière, le « b » de –ub (« devenir » en TZ) devient « p » en TE

noter que le « p » est une consonne commune aux deux langues, qui est souvent utilisée comme consonne « de remplacement »

NB : cas particulier des animaux, et des plantes

les Tzeltals ont été mis en contact avec un lexique animal et végétal évidemment totalement différent du leur, ils ont donc adopté le lexique tahitien, en le modifiant, pour le moment sans aller jusqu’à distinguer de manière aussi précise que les Tahitiens certains états de fruits (il existe par exemple un bon nombre de mots pour désigner les différents états de la noix de coco)

. âahi (TA) thon

> devient

t’ahi āhi (TE) thon (mot à mot : poisson-thon)

en effet, t’ahi est issu de txay, « poisson » en TZ (se prononce « tchaï » — « aï » comme dans « maïs »)

le son « tch » n’existant pas en TA, il est remplacé par l’arrêt glottal marqué par «  »

la voyelle allongée + voyelle simple du TA est remplacé par un simple allongement vocalique

. pape haari eau de coco (pape, eau / haari, coco) en TA

> devient

ha’ sa’ hāri eau de coco en TE (mot à mot : eau blanc coco)

en TZ, eau se dit ha’

s’y ajoute le mot TZ « blanc », sak, transformé en sa’ en TE

pape (TA) est abandonné pour ha’ (TZ)

2. formation générique du pluriel

(la formation du pluriel est plus immédiatement perceptible en TZ, d’où son emploi devenu générique en TE)

nom TA

+

suffixe TZ : –etik

>

transformé en TE en : -eti’

(avec arrêt glottal « ‘ » qui remplace le « k », son qui n’existe pas en TA)

DONC

pour tous les suffixes TZ se terminant en « k », cela se transforme en «  » , qui marque l’arrêt glottal en TE

> devient

mātāre-eti’ des vagues

( mātāre — voir cette forme en .1 )

3. il y a

deux solutions en TE (puisque la construction est semblable en TZ et en TA)

(et dans les deux cas, placement avant le prédicat)

TZ ay

TA e (qui est aussi la marque du verbe « être »)

ay mātāre-eti’ (TZ + TA transformé + TZ transformé)

=

e mātāre-eti’ (TA + TA transformé + TZ transformé)

4. l’article

il n’y a pas de marqueur de genre en TE, comme en TA

donc « le » et « la » se disent de la même manière

en TZ comme en TA : te

on dira, en TE, pour « un homme » (être humain)

te taata la personne, l’humain (TA+TA / TZ+TA)

+

tuhl (classificateur TZ pour « humain ») transformé en tuh’ en TE

>

te taata-tuh’ (TA/TA-TZ transformé)

(effet de reduplication TA/TZ de « humain »)

si on veut dire : « devenir humain » :

taata-tuh’-up’ (TA / TZ) (voir la forme « up’ » en .1)

5. je suis (forme non encore stabilisée)

en TA, e taata au (mot à mot : être / personne / je)

en TZ, l’expression du « je » est toujours liée à un état, le « je » est esprimé par le marqueur personnel on

( c’est pour le moment le fait de vastes incompréhensions de part et d’autre )

on s’oriente cependant déjà vers la forme aun en TE, contraction du au TA et du on TZ

pour le moment taata cohabite avec la forme u’iini’ en TE (transcription phonétique de winik « homme » en TZ, selon les contraintes phonétiques du TA )

DONC

e u’iini’ aun en TE : « je suis »

ou

u’iini’ aun en TE avec disparition du verbe être « e » en TA

B. évolutions lexicales

glissements consonnantiques systématiques du TZ vers TE

« x » (pron. ch) du TZ devient « h » aspiré

« tx » (pron. tch) du TZ devient « teh », ou « tah » avec « h » aspiré

« j » du TZ devient un « r » en TE qui se prononce à mi-chemin entre la « j » espagnole et le « r » roulé

« k » du TZ soit devient «  », coup de glotte (arrêt glottal), qui se prononce comme en français « aha », soit devient « » en TE

« s » du TZ devient « t » en TE

« » du TZ devient « r » roulé en TE

quand plusieurs consonnes se suivent en TE, il y allongement vocalique ou reduplication de la voyelle

(voir ci-dessous)

parfois, les voyelles courtes du TZ s’allongent :

. ajtx’ humide (TZ)

> devient

araarh’ humide (TE)

et

araarh’pari boue

(mot à mot « boue humide », TZ transformé + vari « boue » en TA transformé en pari, le « v » n’existant pas en TZ )

C. quelques exemples de modifications consonnantiques et d’ajouts voyelliques

bahlumilal (TZ) monde

> devient

pahrumiiraara (TE) ailleurs (glissement de sens)

DIFFERENT de

ao (TA) monde (qui est conservé en l’état en TE)

babial (TZ) début

> devient

paapiiaara (TE) début, origine, commencement