un journal de bord pour une traversée et l’écriture de deux poèmes, l’un en croate l’autre en tagalog
premiers jours
26 juillet – 31 juillet
Le Havre – Southampton
Southampton – Méditerranée
27 juillet, le Havre
hôtel – port
le taxi habilité déserte la ville
qui s’espace
de rond-point en rond-point
vaste portique d’entrée du port, comme un péage d’autoroute
des camions des camions, vides ou chargés
des camions, de rares voitures
arrêt sur le bord du péage
aller présenter papiers d’embarquement et passeport à la sécurité
traverser les voies
guichet opaque
agents de sécurité opaques
la suspicion est un métier
retour au taxi
le conducteur, jeune, nerveux
a tout à l’heure allumé une cigarette dès sorti de la voiture
a posé la cigarette avant d’entrer dans le sas de suspicion
l’a reprise ensuite
connait le processus
ce n’est pas ça
sa nervosité est en lui
arrivons au quai où est amarré le von Humboldt
c’est-à-dire là où je vais vivre presque un mois
le chauffeur
accepte de s’arrêter à quelques distances
je prends des photos
ça ne donne rien
de l’immensité
de l’échelle
de ce qui a lieu entre moi et cet objet en démesure
qui au fur et à mesure qu’on s’approche
excède le champ de vision
attente près de la passerelle
près de la coque bleu outremer
sous le grand C blanc de la compagnie
entre les immenses grues blanches générale de manutention portuaire
le chauffeur appelle
on vient me chercher
un philippin, petit, casque de chantier blanc et gilet fluo jaune sur salopette bleue logotypée
descend la passerelle qui oscille à chaque pas
parlemente avec le chauffeur
ça n’est pas ça
ce n’est pas lui qui
attente
personne ne descend
le chauffeur appelle
c’est ok pour monter
premiers pas presque à bord
passerelle d’aluminium, suspendue, haute
le chauffeur habilité porte la valise de livres
manque de souffle
en haut, enregistrement et signature
immédiatement, tout se resserre
la coque était vaste d’en bas, immense, lisse
en haut, tout est plein, étroit
peint en gris clair
des éléments structurants traversent l’espace
on est sous les containers, d’emblée
le chemin qui court le long du navire est sous les containers
bien sûr à l’air libre
passe sous tonnes et tonnes de métal,
cela se sent
ce poids
il y a une autre pesanteur
ici
d’autres rapports de force
partout, le métal, le poids, la masse environne
les lignes de force
noeuds des passages (marches, bas de porte, etc.) peints en bandes obliques jaunes et noires
portes métalliques à fermeture par volant
des hommes et deux femmes
you are the passenger
welcome
ascenseur
présentation de la cabine, F deck, vaste, 5 hublots, vue babord sur la mer du havre
enjoy, good bye
à l’horloge marine radio co. ltd, en faux bois et faux métal des repères et des aiguilles
il est 15h
j’y suis
au havre
à quai
premier (re)pas à bord
(le soir, 18h19h, chaque jour)
un steward ukrainien parlant parfaitement le français
après avoir travaillé « dans les croisières »
apporte les plats
trois tables à la salle à manger attenante à la cuisine
celle du capitaine, longue
et des officiers
celle des passagers
celle des cadets
je suis le seul passager
je mange seul
et le seul à avoir une bouteille de vin
que j’entame ce premier soir
retour cabine
filmer les opérations de chargement des containers
monde brut, métallique
tout vibre
le grutier pose le chariot portant sur le container au sol
verrouille par electro-aimant et emporte le container
le cale sur le précédent
le calage n’est pas immédiat
le plus souvent, quelques tâtonnements
d’en haut, de la cabine
le grutier sait/sent au joystick que ça n’est pas enfoncé aux quatre angles du précédent container
soulève donc à nouveau
le container reste en suspension
descend un peu
saccades
et cela s’enclenche
tonnes de métal contre tonnes de métal
chocs sonores, vibrations des structures du navire
parfois le grutier secoue l’ensemble pour être sûr de la solidarité du tout
parfois, l’électro-aimant ne se déconnecte pas, le porteur reste accroché
l’envoi du signal électrique de décrochage s’entend
ça n’a pas lieu
puis ça se passe
le porteur repart
les câbles, guidés, s’enroulent sur le dessus
retour au sol pour le suivant
en proue et en poupe
partout
les mêmes opérations
simultanées
toute la nuit
28 juillet
lever à temps pour le départ, 6h
vers la pleine mer enfin
pour le moment
je ne sais rien
ne sais rien de ce qui se passe
de comment cela se
j’ouvre
tout
au breakfast
à 8h45, la salle est déserte
à partir de maintenant
le prendrai en cabine
la manche grise, calme
à midi, j’apprends le détour par southampton
le von humboldt n’est pas suffisamment chargé
la traversée prend du temps
les côtes anglaises
la bruine puis la pluie
dissout la côte
voile les châteaux au centre de la pelouse au centre de leur forêt
estuaire de southampton
entrée du port tout en longueur
long, lent
les pilotes sont montés à bord
double commandement du navire, maintenant
ce sera ainsi à chaque port, et à Suez
approche lente du quai
je filme, monté sur l’aile tribord du bridge
le quai est touché, tout en douceur
les grues, jaunes, attendent
depuis que je suis à bord
le globish, partout
premier soir, entendu dans la salle de détente des philippins
un mauvais film en tagalog
à la table des officiers, du croate
d’une place à une autre
quelque chose des positions hiérarchiques, dans les positions
les formes du dire de chacun
chacun pour le moment sans nom
êtres aux seuls contours
qui donnent à lire quelque chose de ce qu’ils sont
hors la langue
qu’est-ce que c’est, ainsi, un être hors la langue
en tout cas dont la seule musique de la langue s’entend
rien de ce qui est dit n’est en sens commun avec ce que je comprends
pourtant quelque chose passe, des éléments de sens
tout ce qu’il y a en même temps que les mots
cela seul s’entend, ainsi
d’une table à l’autre
on ne s’adresse pas la parole
depuis que je suis à bord
rien n’existe que le cargo
cette masse
se mesurer à cette masse
comprendre ce qui s’y joue
les premiers jours occupés à cela
plutôt désoeuvrés à cela
pour le moment, curieusement, les langues ne font pas le poids
c’est la marchandise, et sa masse rendue visible
par ce qui la contient
qui occupe tout l’espace
l’espace mental comme le champ du regard
la mer est loin, pour le moment, est comme une route asphaltée
n’est pas encore un élément — le sera, plus tard
le déchargement commence
le chargement commence
3e jour 29 juillet
Southampton
à quai
un gigantesque navire de croisière en approche
plus loin, derrière les deux navires militaires jumeaux verts et blancs
un autre
au-delà, aux jumelles, une masse blanche et rouge, brumée
au-delà, cheminée fumant, un porte-avion
dernière gorgée de la deuxième tasse de café
des milliers de riches oisifs arrivent
le von humboldt s’est enfoncé cette nuit, des tonnes encore chargées
en cabine, les hublots arrière dorénavant occultés de containers empilés à 1 m de distance
bientôt à quai, le crown princess rejoindra l’independence of the seas
architectures balnéaires flottantes, blanches, éclatantes
avec quelques « ailerons » décoratifs (?) au haut niveau des piscines
préfigurent les futures gaited islands
trouver ses marques dans la cabine
c’est-à-dire bouger ce qui peut l’être
ainsi desserrer les tendeurs de câbles qui attachent les deux fauteuils au sol
et les déplacer
l’azura de P&O à quai, après manoeuvre de retournement
9 étages au-dessus du pont, sans compter les cabines Deluxe Deluxe Deluxe
bientôt
hordes dans les rues de Southampton, dont la richesse croît ainsi — ou se maintient
huge cabin cruiser entering the harbour
BBC 4 depuis le réveil
en écoute sur la mini radio Tamashi achetée il y a 20 ans avec 5 autres
pour une performance d’écriture radio en direct
qui n’a jamais eu lieu — recyclée pour ce voyage
des éleveurs du pays de Galles
welsh meat rich flavored, people expect the true provenance of the products
sunshine not for today
turning cloud today
temperatures from 17 to 22 degrees
many places will avoid the showers in the north
a fly just entered the cabin
un grutier vient de sortir de sa cabine vitrée
a pissé près de la porte d’accès
est rentré
est reparti chercher un autre conteneur
a pissé a une centaine de mètres dans le vide, contre le mur de sa cabine
ça a coulé sur les containers en gouttes disséminées depuis les hauteurs
11h23, heure française, 10h23, heure de Southampton
l’horloge a reculé sous mes yeux cette nuit
the unfamiliar
first onboard day
breathy and greyish day
unwordy sensation of the merchandises scale
humans blown under tons of steel
scattered by the boxes walls aft and forward
a refugee into the self
three hours of BBC listening
départ
filmé cette fois le moment précis où il n’y a plus contact
où, à nouveau, le navire est une micro-île
en autonomie pour un temps
la pluie encore, vent frais
automne
la manche s’ouvre
de tous côtés
des bateaux en nombre
30 juillet / 31 juillet
en mer
au large
bretagne pays de loire aquitaine pays basque espagne portugal
ondes radio
enregistrement
d’une langue à l’autre
déjà
familières, cependant, leur musique est déjà des mots
la mer est maintenant l’atlantique
à peine un début de quelque chose en croate
le poids de la marchandise
décidément, occulte la vue, emplit l’esprit
commande
tout
écrire n’est pas possible
manger seul à table, à midi et à 18h
à gauche, les cadets se parlent en arabe
l’une est marocaine, l’autre tunisien
3e année, en stage d’un an en mer
de vaisseau en vaisseau
avant la 4e année diplômante
then… apply
en face, les officiers se parlent en croate
un, en bout de table, se tait, ou quelques mots en anglais, avec ses voisins immédiats
le capitaine et le chef ingénieur en face à face, à un bout
donnent le ton de l’humeur du jour
chacun a une place, déterminée
le capitaine est monté au havre, a remplacé le précédent qui a débarqué au havre
vacances après trois mois en mer
se sont croisés dans la recreation room des officiers, sauterie sans alcool, deck C
au-dessus de la salle des repas
hiérarchie stricte des rapports
fermeté
certains officiers plus à l’aise que d’autres
ceux-là silencieux à chaque repas
selon les horaires de chacun, les places restent vides
le messman dépose les assiettes sous film plastique
deviendront froides
mardi 1er août
aujourd’hui, un monde autre
aujourd’hui, gibraltar
lucky you are, said the captain yesterday at dinner, you will pass gibraltar tomorrow
longues nuits depuis southampton, bercé par le roulis
marcher n’est pas la même chose
à bord
parfois
le sol résiste et porte vers l’arrière
parfois il pousse en avant
monté sur le bridge
rien, pas une terre en vue
le soleil peine derrière la couche de nuages
se lève à babord face
on a donc changé de cap
et puis
semblent des côtes
au loin
le maroc
là où je suis né
sur le watching deck, un philippin, crâne rasé, fait le ménage
good morning good morning
et le 3rd officer in charge of security
celui-même qui m’a briefé il y a deux jours sur all my security duties
and the muster place in case of whatever alarm
je ne sais pas les prénoms
pas encore
mais les visages, oui, les regards les manières d’être les corps les mouvements les voix
oui
on sera à gibraltar dans une heure ou deux
déjà 5 jours en mer, un temps dilaté
infini déjà
parmi cette société flottante
imaginer ainsi une usine
c’est-à-dire une journée de travail divisée en 8h : 8h 12h, déjeuner de 12 à 13, puis 13h 17h
plus évidemment les officiers et les membres d’équipage d’astreinte de 16h à 8h, par roulement, la nuit
une usine dont personne ne sort avant plusieurs mois
3 mois pour les officiers
6 mois pour certains ingénieurs en bas d’échelle
9 à 10 mois, selon les contrats, pour les philippins
le seul après-midi du dimanche pour décompresser
une usine où chacun a sa chambre, sauf les philippins qui dorment à plusieurs
et ont des salles de bain partagées
une recreation room par ensemble
une pour les philippins, où on n’entre qu’après s’être déchaussé
où s’entendent des bribes en tagalog ou en anglais, de films passés et repassés
une pour les officiers, bois au mur, plus sombre, plus « élégante », avec très grand écran et playstation
une pour les passagers, vaste, au F deck, même niveau que les 4 cabines passager
avec un grand écran et… rien d’autre, à part un pauvre lecteur de cd
quelques plantes en plastique, d’autres vivantes
les passerelles du château comme seuls espaces extérieurs où ne pas être dans un espace de travail
les espaces de vie, cabines et recreation room, avec vue sur les containers
en haut
surveiller les écrans de contrôle sur le navigation deck
noter la position sur un cahier, vérifier le cap
— c’est l’ordinateur maître qui effectue les corrections de cap
le vent, la force de la mer dévie
les chiffres s’affichent en temps réel
en bas
au u deck, celui par lequel on entre dans le ship
pont général du bâtiment, des circulations vers la proue et la poupe
et les lieux de passages de babord à tribord, entre les masses des containers
u deck office
là où s’observe sur les différents teminaux
les opérations d’embarquement et de débarquement
le remplissage des ballasts
pour équilibrer le navire au fur et à mesure du chargement
et, une fois en mer, pour affiner la portance et gagner en coût
selon
on mange vite, on regarde l’heure
cette horloge qui est dans tous les lieux, dans chaque cabine, dans chaque partie du bateau
les philippins mangent à babord
les officiers, ingénieurs, cadets et passager, à tribord
depuis le 1er soir, je ne touche plus au vin au dîner
personne ici ne boit
bouteille emportée en cabine
où un verre ou deux, chaque soir
quand on arrive dans la salle de restaurant, on dit « good appetite »
ce qui appelle ou non une réponse marmonnée à peine
on sort de salle en disant la même chose
les cadets emportent leurs assiettes à la cuisine
où chacun peut entrer d’ailleurs
pour certains officiers, les 3e classes, en jour de détente, cela arrive
les autres se font servir — et moi — à la place
une dizaine de bateaux, apparemment à l’ancre
en amont du détroit
bientôt
un autre monde
bientôt
la Méditerranée, le monde ancien
venir ainsi d’au-delà des colonnes, inverser le temps de l’ailleurs
superpositions d’états
en permanence
être dans le rêve et en même temps
à bord d’une machine de commerce
qui creuse et chiffre la mer
rythmé par la vie à bord et ses impératifs
l’écriture commence cependant
quelque chose se rétablit d’une mesure possible
proto texte en croate
reste à trouver la personne qui saura le lire
et apporter les inévitables corrections
gibraltar est passé
au milieu des voix radio en espagnol anglais arabe
gibraltar dans la brume à babord
après tanger dans la brume à tribord
gibraltar n’a pas été un événement
la mouche de southampton
la mouche de southampton tourne dans la cabine depuis southampton
habile
repère chaque mouvement
est loin avant le deuxième pas d’approche
no hope for me to catch it
faisons donc cabine commune — pour l’instant
j’avance le texte en tagalog
cherche à le terminer pour demain ou après-demain
pourrai alors revenir au croate
ce matin, une demi-heure de rameur en salle de gym
deck A
le même que celui de la piscine de 4 m sur 2,5
vide en ce moment (la mer est trop froide)
you will see in the red sea, very hot, too hot
en ce moment, à tribord, on parle le marocain, le littéraire et les dialectaux, le berbère, on écrit en cyberlougha
en ce moment à babord, on parle le castillan mais aussi le barraquian, un peu plus loin on parle l’extramadurien, l’asturien, le mindanese, plus loin encore on parle le catalan l’aragonais le basque
au nord plus loin on parle le français, l’occitan, le breton, l’arpitan
au nord, plus loin, on parle le chti, le picard, le flamand
plus loin…
trois quarts d’heure de travail en tagalog avec le messman
en passant par la langue du milieu, globish flottant dont personne n’a le même vocabulaire en partage
à part celui nécessaire au travail, à la politesse, à la détente
cette langue du milieu qui me conduit à répéter plusieurs fois les mots
à inverser les propostions pour être sûr d’être bien compris
toute le journée, brumeux, c’est-à-dire un ciel blanc, nuages et brumes
jaune à l’horizon
brume jaune, de pollution, même ici
plus de dauphins comme ce matin
plus de baleines comme hier soir le long des côtes du Portugal
(souffles d’eau au loin, à babord, à intervalles réguliers)
le soir comme ce soir
comme tous les soirs flottent dans les couloirs
dans ces courants d’air des couloirs climatisés
les parfums virils des eaux de toilettes ou après-rasages pour homme
senteurs industrielles et calibrées
le son des ventilateurs des containers réfrigérés juste derrière la tête de lit
à quelques mètres en dessous
aujourd’hui 2 août
7e jour de navigation
lever du jour à 6h30
quelque part en méditerranée
des nuages de tous les côtés lourds
monté sur l’aile
navigation deck
the watching point
air très chaud, même à cette vitesse
mer étale
d’en haut
la côte arabe est toujours en vue
radios arabes captées sur la petite Tamashi
quelques mots reconnus, de temps à autre
le ton des journalistes est le même qu’en France, cependant
et les jingle proches
repris le texte en tagalog au lever
retournant certains éléments
(ng bàgay-bàgay)
descendu au coeur du monstre, là où il règne une chaleur intense, plus de 36°
là où tous les systèmes
centrales de climatisation
de refroidissement
d’eau chaude
générateurs de production d’électricité
centrales de mise à température du fuel
…
là où mécanos et philippins travaillent
là où tous les ordinateurs liés au moteur
one master one slave, tous doublés en cas de panne de l’un
l’autre prend le relais
près du moteur plus de 100 000 horsepower (cv)
l’air est saturé du bruit du moteur
tout est nickel, pas une matière au sol, huile, ou autre
neuf
…
après le déjeuner
monté sur le watch deck
we’ve an apparition, leave the bridge
said the captain, a bit nervous, I may say so
critical situation (eventuality of)
déroute en direction de
de quoi
ne rien savoir
imaginer
tout
et rien
quel danger venu de la mer pour un monstre tel
have we a situation ?
voir un petit canot de plastique bleu, et son nom en arabe, peint en noir
au milieu du canot, un jerrycan, blanc, vide
pas de rames
monté par la grue et arrimé à la passerelle du deck A
où est l’homme ?
journée sans but, en attente
proximité des côtes de Siciles
sirène des garde-côtes italiens
vedette grise
le canot bleu mis à la mer, emporté par un militaire italien, mis en remorque
où est l’homme ?
aujourd’hui 3 août, 5h35
8e jour de navigation
levé à 5h
monté sur le pont
deux étages au-dessus
nuit pleine encore
air doux
naviguons droit sur vénus
exactement sous la voie lactée
première fois que je la vois ainsi, d’un bout à l’autre de l’horizon
d’ouest en est, sans rien en obstacle à part la courbure de la Terre
en mer, la Terre est une planète
à pleine vitesse dans la nuit le cargo est sur cette planète
parmi les innombrables autres planètes
au-delà de la possibilité même de les concevoir
repensé à Cendrars
et l’aube pointe
et les étoiles sont de moins en moins visibles
sauf vénus
signal éclatant d’autres mondes
l’aube pointe
délimite la zone où les étoiles sont encore visibles
rend à nouveau perceptible la brume
jaune maintenant
brume de chaleur qui nivelle le regard, noie les distances
garde les hommes dans sa texture polluée
la mer prend peu à peu des couleurs
…
où est la mouche de southampton ?
6h26
l’air est chaud, déjà, même à cette vitesse, et en pleine mer
comment, à terre ?
hier, à 12h, 32° en mer
aux jumelles, au loin, pointer une masse sombre et étale
brume de chaleur mêlée de particules
retouche du texte croate
grâce à une meilleure connexion Internet
via le dictionnaire en ligne lingea
les mots ne sont pas les mêmes d’un dictionnaire à l’autre
classique
la méthode papier à partir de laquelle j’ai commencé le travail est une première édition
de 1969, reprint en 2002
la langue a bougé à ce point ?
serait-ce les « quelques » troubles entre 69 et aujourd’hui ?
ce qui
sans doute
a
à vérifier tout à l’heure avec le 1rst mate, le 1er second, Aleksandar, chief officer
au bout du couloir, passerelle tribord
au loin, à l’avant, une île
Malte ?
en mer, quelque chose est en suspens
loin des nécessités du monde flottant qui m’emmène
sensation d’être un hors-champ
the passenger
I’m the passenger
meaning a curious entity
known as the passenger equal in duties and rights like any other passenger
and surrounded by a misty « why » : « why is he here, for a so long time »
le soleil sera puissant, chaud dès 7h26
quelle différence avec le monde brumeux d’hier
gluant et sans aucune profondeur
je ne me lasse pas de sentir cette gîte très légère, et le roulis
c’est-à-dire de sentir la portance et la mouvance de la mer
sous la masse en mouvement
de percevoir que l’ensemble des capteurs du corps s’en empare
et en donne l’exact rendu au moment où
Malte
Sardaigne
bientôt la Grèce
la Tunisie, l’Irak
à hauteur des flux
de migrants
naviguer sur une mer fosse commune, aussi
8.00
à l’instant, nous dépassons une plateforme pétrolière
tirée par le Carlo Marcello
c’était cela le sillon huileux que je voyais depuis quelques dizaines
de minutes
8h 32
radio de Tunis, en français pour la revue de presse
une autre en arabe pour le sport
une autre zone, des radios d’Italie du Sud
une zone de radios en anglais !??
et puis, quelque minutes après
la radio en espagnol des îles Canaries
et puis c’est fini, plus rien
le bruit de neige sonore de la bande fm
traverser des paquets d’onde
et puis être à nouveau dans le vide d’ondes
9h15
le messman entre
aujourd’hui, changement des draps
he told me, immediatly :
did you see the guy yesterday, the recued guy
no
he was a lier
oh, I expected that
he told he was a fisherman, but no paddles in the boat
and no fuel enough
and no net
so he wanted to escape
yes, he’s a refugee
but the italian coastguards will take him back to algeria
do you often see refugees ?
no, it’s my first time
but I’ve heard one story of one aiming to reach Argentina from Congo
the crew found him close to Argentina’s coasts
he hides himself very well, you know why he was discovered ?
because of the shit
the smell was stronger and stronger, and leads the crew to his place
he sees the coasts wanted to jump that guys was crazy
(laughs)
they back him to Congo
you know what, the ship had to pay a penalization
all ships had to check if there is onboard a non-authorized person
before leaving the port
9h35
le safety boat orange est ouvert
inspection
la vie à bord faite de cette routine
sans faille
inspections vérifications graissage des câbles retouches de peinture etc.
réparations au besoin
tâches de contrôle en permanence
éviter toute défaillance
la brume jaune a disparu
à babord, le Stena Sinarmas
10h53
inspection du safety boat orange terminée
au milieu de la mer, deux mini bouées, une rouge et blanche, l’autre jaune comme
un canard jaune de bain
à distance fixe l’une de l’autre
traces persistantes des sillages en mer
quand l’océan, lui, efface
j’enfile le short de sport, vais ramer après avoir travaillé en croate
si cela se maintient
la mer est de plus en plus étale, à peine friselée
à vivre à sa surface depuis des jours
fascinant, son changement d’état en permanence
selon les zones les heures
et l’ensemble des conditions perçues et non perçues
la merS, donc, comme la langueS (tribute to em)
se demander si une langue qui sépare ainsi les choses en unité est une langue
qui dit le monde
ou plutôt une langue qui dit les hommes
qui dit comment les hommes le monde
y-a-t-il des langues où l’inséparé prime ?
c’est-à-dire où en gros il n’y a pas d’unité, articulée par l’article, justement
mais des ensembles qui sont déterminés uniquement quand l’attention se porte sur eux
quand ils sont discriminés pour une raison ou pour une autre d’un ensemble
parce que
par exemple
le regard s’y pose
…
à bord
depuis 9 jours
en position mixte
à la fois à vivre peu à peu cette vie de bord, qui se détend
(ou se tend comme hier après-midi)
et à la fois garder mon cap
deux caps qui se superposent ainsi
mon cap qui se laisse traverser de ce qui a lieu, on board and overboard
et ma langue
qui se laisse à nouveau traverser par ce que me donnent les ressources
dans la langue des autres, donc le tagalog des marins et le croate des officiers
cet espace commun peut-être
à jamais peut-être
les couleurs changent selon les courants
les teintes de bleu
comme un moirage un velours à revers, ou non
11h30
ramé trois quarts d’heure
impossible de travailler avec le chief officer aujourd’hui
le rescued man d’hier
that liar
ça demande des heures de paperasseries
« storytelling, say the facts » Aleksandar says (sic)
la mer est d’huile, maintenant
absolument d’huile
une légère brise elle se plisse comme un peinture appliquée en couche trop
épaisse et séchée inégalement
un peu plus
et c’est un papier gaufré ou crépon
quelques secondes après
retour à l’huile
et ça devient un fond d’écran
selon une mécanique du fluide apparemment bouclée
selon l’identité
des conditions
cependant un peu trop de fragments blancs de plastique à la surface et entre deux eaux
quelques poissons volants
volent
… et plongent
la piscine a été remplie ce matin
eau chaude, plus de 30° à vue de main
un plongeon après le déjeuner
…
11h57
dépassons un petit bateau de pêche
chalut à la mer
trois cormorans (?) posés en surface à distance
cela donnerait quoi vu du ciel, tous ces sillages, innombrables
quel dessin vu de drone ?
la mer est bleu container
12.30
retour de déjeuner
à cette heure, les rayons du soleil sont des traits clairs dans l’eau bleue
la mer est un élément sans précédent
on ne voit pas les côtes mais grâce aux ordures qui flottent, on sait des hommes quelque part
a few words at lunch with the captain, about yesterday situation. excuses agreed
anyway it was a possible critical situation, so, normal to clear me from the bridge
🙂
séance de travail dès 13h avec le stewart
il paraît que ce que j’écris est compliqué 🙂
certaines choses éclaircies mais je ne suis pas sûr
quelque chose me fait sentir
que la langue qu’il maîtrise n’englobe pas forcément
la langue que je veux écrire dans sa langue
ce qui est absolument paradoxal, voire sans doute over
mais quand même je devrai vérifier deux ou trois points avec
l’inalco, or someone else elsewhere
testé la piscine, eau parfaite
eau de mer
nagé une petite demie
sur place, en crawl, les pieds coincés dans l’échelle
et
en un mouvement de papillon, on est de l’autre côté
quel luxe
nager dans l’eau de mer tout en étant emmené à port
et en même temps
nager dans le passé
d’une eau laissée depuis longtemps en arrière
je vais revoir une nouvelle fois le texte en tagalog
Malte en approche à babord ?
et puis vérifier une intuition sur une pièce vidéo à venir
et puis filmer
encore
non pas Malte du tout mais Pantelleria
que fait-on quand on habite Pantelleria
voir ce qu’on fait quand on habite Pantelleria
quelle vie à Pantelleria
après-midi de lecture
toujours the plot against america, ça tient
au soleil, coincé sur une des passerelles de métal, à babord (port side)
sol peint en vert
blanches les rambardes
sur un opportun et cependant tout à fait technique plan incliné face au soleil, à cette heure (16h à 17h)
puis
avant le dîner de 18h
un échange mail avec aurore monod, une spécialiste — entre autres — du tseltal (mexique)
texte que j’ai retrouvé et que je lui ai soumis
il y a du travail sur ce texte, et quant à la liste qui constitue une bonne part du poème
cette question de la liste est déjà dans les poèmes ou incantations des Tseltal
ce qui me réjouit absolument
reste à tout reprendre pour affiner et enlever les monstruosités
peut-être en faisant un séjour chez eux,
et réduire mon temps aux E-U
je saurai quand j’aurais pris contact avec les Choctaw, de l’Oklahoma
ce qui n’est pas encore fait
dîné de la même même même même même même salade
🙂
puis une chicken pizza avec salade de pomme de terre
pas mal la chicken pizza, tout ce qu’il y a sur une pâte, mais à la place de la pâte, du blanc de poulet
no gluten pizza
et glace vanille blanche (beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup d’eau et de lait)
monté sur le nav deck (la passerelle, aka the bridge aka le pont)
serons à Malte vers les 3h du matin, naviguerons entre Malte et la Sicile
mon point de fin de voyage retour
ainsi dans la nuit…
aujourd’hui 4 août
10e jour de navigation
lever à 6h30, après un réveil à 3h30
pour voir Malte
mais sommes passés trop loin de Malte
dans la nuit noire, rien
maintenant, à hauteur de Tripoli, en haute mer
eau un peu plus dense
quels mots pour cela
en langue marine
pour les états de la mer
demander
air déjà très chaud, proche 30°
et aujourd’hui
exactement aujourd’hui il est né
exactement aujourd’hui il est né
il y a 55 ans
7h
lecture sur la passerelle au soleil levant
port side, deck F, le mien
deux pétroliers se croisent
impressionnant nombre de pétroliers depuis Gibraltar
parmi tout le reste
la mer une autoroute
beaucoup de plastiques à la surface
et aucune terre en vue
des radios grecques…
là-bas, au nord donc, la Grèce
avec plus ou moins de bruit
j’enregistre en tenant la radio à deux mains
le corps en antenne
moins de bruit, ainsi
et cela dépend de notre position
la question est
y-a-t-il vraiment une terre là-bas
comment le savoir
ça
s’il n’y avait plus rien
plus de terre
cet infini alors de la mer devenue océan
cette machine menée par 28 hommes seulement
et un passager
cette puissance de plus de 100 000 cv (horse power)
va alors au bout
de quoi
du fuel ? de la nourriture ? de l’eau ?
comment, quand plus d’eau
en dérive ?
plus aucun système ne fonctionne
ça commence par quoi
(demander, tiens, demander ça, pourquoi pas)
quoi commence à tomber en panne
quoi
et quoi d’irréversible
alors
arraisonner le premier tanker
voler le pétrole (mais peut-on faire quelque chose de ce pétrole non raffiné…)
ou alors
et cela est une société de la survie
on échange ce qu’il y a dans les conteneurs contre du fuel
navigant ainsi de rencontre en rencontre jusqu’à ?
toute terre émergée disparue
reste cette société flottante
une far sea or whatever
whereever you are
en survie un temps
utiliser alors le minimum de fuel
et garder en maintenance chaque ordinateur, si la réparation est possible
s’ils ne sont pas dépendants, aussi, d’un système de guidage externe, spatial
le master et le slave
si les deux tombent en panne
réduire l’énergie dépensée
l’intérieur des cabines devient suffocant ou glacé
selon
rationner
garder la routine quotidienne de maintenance
les films déjà vieux en tagalog s’usent d’année en année
jusqu’à la fin du lecteur
tous les membres d’équipage connaissent chaque réplique par coeur
rejouent des scènes
en inventent d’autres
chaque moment
miment
la discipline reste
puis une autre
quelque chose a changé
a changé depuis longtemps
un chef philippin a émergé
le navire a un double commandement
une rivalité
une tension qui couve
sometimes overwhelms
10h00
plus une radio grecque
à nouveau des zones en italien
j’imagine voir ces paquets d’ondes
comme la mer
voir les mouvements
des ondes dans l’air
comme le fuel à la surface de la mer dans les ports
en bien plus vaste
la mer à nouveau autre
sommes au plus loin de toute terre
à hauteur entre Syrte et Benghazi
là où la guerre
et entre la pointe de la botte italienne et l’albanie, là où on parle sqip
ramé 50 minutes aujourd’hui
avec le même philippin depuis 3 jours
mêmes horaires
lui court
et soulève des poids assis
aujourd’hui, un programme musical en même temps
kanye west, rihana, ’nte quelque chose, david guetta
money and sex, power and cars, always the same crap throughout that world
se sécher en remontant les six étages par les escaliers extérieurs
et
douche
en attendant le repas
12h30
plus un sillage
le même bleu à la même heure
toujours ces fragments de plastique
un plissé différent
mangé pilippino aujourd’hui, il y avait des pâtes pour
les officiers
les cadets et LE passager
j’ai demandé à essayer la nourriture de the other side
riz et porc en sauce, excellent
le mess man s’appelle roger
on le surnomme roger, pour rogelio
siguan rogelio reyes
c’est avec lui que je travaille le texte
et que je travaille la prononciation aujourd’hui
le texte est passé au pluriel
ce qui me manquait pour partie
avec la méthode que j’avais
prononciation enregistrée
d’abord lui lisant
et puis moi, répétant, corrigé par Roger
revenant et répétant à nouveau
sieste
descendu au U deck
travailler avec Aleksandar
sur le texte en croate
avec une certaine appréhension
quelques jours seulement de travail en croate, alors…
tout de suite
quelque chose l’a retenu à la première phrase
quelque chose d’éminemment croate, ou d’une poésie croate
m’en a parlé à la fin de l’heure de travail
ce sens du verbe
avons parlé de la glossolalie, ensuite, et de ce que
avons travaillé sur la question de l’abstraction de certains acceptions
20% d’erreurs, dont de l’indécision :
quel terme choisir plutôt qu’un autre
seul un croate peut, ou un très bon dictionnaire
mais cela est tellement plus pertinent directement de langue à langue
avons parlé de l’évolution de sa langue
puisque je travaille avec une méthode de 69 et que sa langue est celle de 2017
des mots autres, déjà, des mots qui ne sont plus, ou plus employés de la même manière
ça va vite,
en somme, la glossolalie, dans sa méthode et dans sa pratique, traverse les temps
est dans d’autres temporalités
ce qui me fait penser que ce cargo
aussi
oui
ce cargo est dans un autre temps
entité flottante à temps propre
personne d’autre à cette latitude ne vit à cette heure
l’heure du temps du port d’attache de la compagnie
la journée à bord est une journée d’un autre temps
c’est beau
c’est étrange
c’est absolument étrange
il n’y a plus de terre
depuis cette nuit, plus aucune terre nulle part
le cercle de la mer environne
être ainsi suspendu
parmi six langues, le tagalog le croate, l’arabe le français et la langue véhiculaire
et de commandement, le globish
et oui, dans le mariner’s handbook
sur le pont
il y a la description de chaque état de la mer
selon les forces des vents et de la houle
mais pas de mots
il faut les trouver plus au sud, ces mots
donc
dans les langues des îles
dans quelques mois…
filmé le coucher de soleil, après avoir dîné philippin une fois encore
calamars en sauce piquante et riz
jamais vu ainsi, le soleil
cargo seul sur la mer
et le point halo immense et minuscule jaune puis rouge
qui change de forme en disparaissant
nuit est à 8h
la lune en relais immédiat du soleil en est sud est
des choses se dessinent
peu à peu
les hommes de quart sont en routine de nuit
la houle un peu plus forte ce soir
aujourd’hui samedi 5 août 17
lever à 5h30
nuit de cauchemars
couché en lune montante
seuls sur la mer avec cette lune qui éclaire tout
ça, sans doute
toujours étrange de se réveiller alors qu’on a fait face à son exécution
après avoir tenté d’échapper à l’inéluctable un certain nombre de fois
condamnation sans appel pour des raisons idéologiques
ce qui s’est ensuite transformé en machine de répression
sans échappatoire
et tourner une dernière fois la tête
sur un ciel gris
se réveiller
(une heure à parler en croate hier…
à être dans la langue et dans l’esprit de
à ouvrir un temps un espace commun…)
la mer encore sans soleil à cette heure
une toute première incursion dans le cours de vietnamien
cette langue qui m’impressionne
méthode comprise
très dense, mais d’une clarté magnifique, juste se laisser porter
à croire que je n’avais pas besoin de prendre le dictionnaire, très gros
quoique
à voir au fur et à mesure de l’étude
et je dois rencontrer deux éminents universitaires à Ha Noi
dans deux mois
thé et café, en cabine, comme chaque matin, et fruits
délesté les carte sd de la veille, trié les fichiers
rangé
ça, tous les deux jours
travail en clair et choix définitifs pour les textes en tagalog et en croate
žuta prašina rastvori sjenu la poussière jaune déplie l’ombre
the yellow dust unfolds the shadow
naokolo, neizvjestno nešto tout autour, quelque chose incertain
around, something uncertain
alapljiva boja âpre couleur / fierce colour
postala nečitljiva devenue illisible
(which had) became unreadable
na pragu au seuil est, encore, le temps présent
još jeste sadašnjost yet on the threshold, present (time)
oni potonu ils sombrent
njihov dah je kratak le souffle rapide
they seek, on short breath
nekolicina posmatraju quelques-uns observent
some are watching
tih šum, naokolo bruit silencieux, tout autour
silent noise, around
spor lent / slow
oni grabe odsutnost ils saisissent l’absence
njihovi trbuhi jesu crni ponori leurs ventres sont des abîmes noirs
their bellys are black abysses
za trenutak oni se držse ils s’accrochent un instant
they hold for a while / a moment
oni oklevaju hésitent / are hesitating
su sinovi silovanja koje je davno počelo ils sont les fils d’un viol commencé
il y a longtemps
they are the sons of a rape began
a long time ago
aucune onde radio aujourd’hui
je ne sais pas encore où je suis
au large
en somme
et toujours au même cap eeese
il me reste moins de 4$ sur le crédit Internet airbus-marlink
impératif de croiser l’officer in charge aujourd’hui
recharger de 40$
9h, retour de gym, 1h10
toujours pas de radio
9h30
Rogelio-Roger vient tous les jours pour la chambre
occasion de parler un peu
de se connaître plus
he said, when asked, that Suez will be for tonight
after a moment anchoraged
then the suez pilot come, with the electricians
then we enter the queue
it takes eight hours to go through the canal
(probably because of the traffic)
I should be awakened this night
repensé au premier jour à bord
déjà
dès l’approche
c’est-à-dire dès que passé le contrôle sécurité passeport de l’entrée du port
c’est autre chose
c’est-à-dire entrer dans une immense zone de frêt et d’échange
comme dans un haut fourneau
un lieu hors échelle humaine
où se croisent sans cesse semi-remorques vides ou chargés des containers
s’approcher du von Humboldt à quai, absolument immense de loin
immense de près
immeuble flottant
une masse de métal bleue au nom de compagnie
une passerelle en métal avec filet le long de la rambarde mène au pont
c’est-à-dire à ce qui d’en bas semble une étroite coursive qui passe sous les containers
containers empilés jusqu’au droit de la coque
les grues sur rail ne chargent pas
sommes en attente, avec le chauffeur de la compagnie de taxi habilitée
forte odeur de fuel brûlé, très forte
et de mazout frais
(…)
10h30 12h00
première plongée dans la langue malaise
et
défrichage en lecture d’un texte vietnamien d’étude
ce sera la prononciation le plus complexe
c’est sûr
la structure isolante du vietnamien est simple à comprendre, du moins à l’écrit
à entendre, ce sera opacité
pure musique
et sensation
:-)))
12h30
retour cabine,
après une double ration
double sided lunch meat for me today
pilipino grilled pork and veal for officers
two plates
happily I sport everyday 🙂
des poissons volants, clairs, blancs
15h45
retour de la passerelle
lecture au soleil
une libellule
une libellule en pleine mer
début de travail de la grammaire malaise
18h00
dîner rapide
ambiance très bruyante ce soir
en contraste avec l’usage
commandant détendu
on se parle même de la table des officiers à celle des deux cadets
l’approche du canal de Suez sans doute
ce qui est toujours quelque chose
en même temps
tout ce qui est
tout ce que je
en ce moment et depuis le départ
est simplement ce qui est
c’est-à-dire les conditions d’un autre quotidien
et c’est exactement cela qui est précieux
de pouvoir vivre un temps
un temps long
dans des conditions de vie autres
d’une certaine manière
ne pas emprunter c’est-à-dire ne pas seulement regarder capter
mais plonger vraiment dans un mode de vie
de manière d’abord très animale
quels sont les rapports entre eux
quelle hiérarchie
quelle place
comment lire ça dans les arrivées en salle de restaurant et les départs
ceux qui parlent et ceux qui parlent moins
et
comment se comporter
selon les usages à bord
en quoi je suis modifié
en quoi — un peu — le passager et ce que je suis à l’intérieur du passager modifient certains rythmes
certaines formes d’être et de regarder
forme de commun, là encore
à hauteur de l’Egypte
on approche du canal de Suez, de plus en plus de bateaux petits et gros
éclairés de leurs signaux de nuit
dans les deux sens
il fait nuit depuis 19h
et des étoiles filantes
et la mer claire sous la lune
22h55
sommes arrêtés en mer
tout autour, partout, des dizaines de navires de toutes sortes
tous éclairages allumés
attendent
the Suez queue
juste incroyable
ce nombre
Port Saïd vers minuit, à la lumière de la lune
à l’ancre
quel monde, au réveil ?
aujourd’hui dimanche 6 août
entrée du canal de Suez
réveillé 5h
levé 6h
pile à l’entrée
Port Saïd dans le soleil levant, à tribord
à babord, une zone industrielle
brume de chaleur déjà
ici
bientôt
deux mers ensemble
les pilotes égyptiens sont montés à bord
arrivés en canot bleu
levé de l’eau par la grue
maintenant suspendu tribord
les pilotes dirigent le navire pendant les heures de traversée de la terre
les électriciens restent au U deck, en zone extérieure
où est le premier canal ?
des pêcheurs , un dans l’eau, l’autre en barque, tendent un filet, maigre
les mouvements des navires font fuir vers eux les poissons ?
les radios de Port Saïd, les ondes du canal
des pêcheurs partout
des millions d’euros de marchandise à bord
et ces pêcheurs
des millions et ces pêcheurs
à quatre par barques, parfois avec un enfant
à combien se vend le poisson du canal
Port Saïd déjà en arrière
toujours à tribord
maintenant des marais salants et la ville au loin
d’en haut
le canal est une ligne d’eau, nous sommes au milieu de cette ligne
devant nous
devant nous un cargo-container
devant lui un cargo-container
devant lui un cargo-container
devant lui un cargo-container
derrière nous
un pétrolier
derrière
un pétrolier
encore un pétrolier
à distances équivalentes
à perte de vue
toute les nuits tous les jours toute l’année
c’est une théorie
une théorie sans fin
du brut au plus extrême raffiné
du vrac au container
dans un sens et dans un autre
magandang umagà pô : bonjour, bon matin
kumusta ka ? comment ça va
tagalog daily
dans le canal
vitesse réduite
babord
le désert
tribord
les fermes les champs, les fermes les routes le train les champs
comme un tableau pédagogique
tout à sa place
on traverse littéralement la terre
depuis deux heures déjà
9h15, la journée est largement entamée
appris tout à l’heure en accueillant Roger dans sa langue
que sa langue de famille est le waray waray
https://archive.org/details/Waray-warayDictionary charger le dico une fois à terre
que les filippins ont tous au moins une première langue familliale, qu’ils apprennent le tagalog à l’école
tagalog la langue commune
sauf dans les lieux les plus reculés
le désert, le désert partout à babord, et un village oasis de temps en temps
et donc, naturellement, les pêcheurs très nombreux sur le canal
pêchent alors qu’à la surface des trainées de fuel
oui
normal
oui
le pont suspendu Mubarak de la paix et de l’amitié japonaise égyptienne
seul pont au-dessus du canal, qui se traverse en bac, ailleurs
12h30
à nouveau un seul et même canal
croisons les bateaux dans l’autre sens
au milieu, les pêcheurs
toute la journée, donc, sur l’eau
traversée d’un des lacs que relie le canal
vaste, chaud
et toujours
à l’est, babord, plus souvent le désert que des villages
à l’ouest, tribord, des champs, des dateraies, des champs, des fermes
des villages et des villes, et des mosquées
à l’est, des postes de l’armée tous les n km
avec un petit enclos pour la prière
quelques bacs traversent les deux canaux
la route creuse alors dans la digue de sable
du canal ancien au nouveau
le désert à l’est
des bandes de sable
d’immenses vastitudes de zones parfois remplies d’eau de mer, aujourd’hui asséchées
des guérites, un peu partout
des guérites de pierre dans le sable
des guérites suspendues
des pylônes électriques
des murs souvent effondrés
des lignes en tous sens traversent le désert
des restes d’une guerre
je traverse
le canal traverse la terre
et a mêlé deux univers
(ce qui n’est pas nouveau, sous certains pharaons, déjà, un canal relia le nil à la mer rouge)
c’est ce que je fais
je traverse les mers et les océans à bord de ce cargo
je traverse les langues
je n’appartiens pas
je cherche des chemins de langues
dans toutes les langues
je cherche une forme du commun
dans ce qui sépare
16h16
mer rouge
Suez cette fois Suez
en bout de canal
un autre monde commence
au loin, à babord, les côtes d’arabie
17h46
le téléphone vient de sonner
Roger, the messman :
do you prefer to eat chicken and rice
yes
perfect
yes yes
because today, spahettis bolognaises
he knows about the wheat flour
même s’il oublie parfois
comme ce jeu des poivrons dans la salade
je les laisse systématiquement sur le bord
certains soirs, aucun morceau
il les trierait ?
quelques jours plus tard, plein de morceaux
un jeu ou une projection ?
ne pas chercher la solution
les radios arabes se sont tues
pourtant de part et d’autre
les côtes visibles
la mer rouge si étroite à cet endroit que des côtes visibles
sommes très très loin de Henri de Monfreid, une lecture d’enfance et un très sensuel feuilleton
— un mot de l’ancien temps
18h11
bientôt le soleil couchant
enfin, la mer est vide
19.04
côtes d’arabie toujours en vue
bientôt nuit noire
croisons à nouveau des pétroliers et des cargos
qui vont vers Suez, et entrerons dans la queue à leur tour
j’aurais vu combien de cargos pendant ces 27 jours
combien
une centaine peut-être
et autant de pétroliers
et autant de vraquiers
ce qui doit être multiplié par autant de jours par an
ce à quoi on ne pense pas
ce qui est là quand on y est
ce qu’on voit quand on est sur les flots
ce qui est du chiffre au journal du soir
de temps en temps
ce qui est du chiffre dans les revues spécialisées
professionnelles
critiques
cela
ce flux permanent
de boîtes closes
de réservoirs
pleins ou à remplir
ce traffic de formes brutes ou raffinées
en permanence
et tout cela dans un seul but
un seul
…
regarder
donc
le non spectacle
lent
opiniâtrement aveugle et sans conscience
de l’effondrement
suis à bord
d’un cargo
c’est entendu
oui
mais ça veut dire quoi
ça signifie quoi
être à bord
qu’est-ce qu’il se passe
à bord d’un cargo
qu’est-ce que c’est un cargo ?
qui est à bord
pourquoi
dans quelles conditions
qui sait quoi de quoi
à bord
et moi
je sais quoi de quoi
à bord
je sais ce que je vois
je sais ce que j’entends ou ce qu’on me dit quand je suis à tel ou tel endroit du cargo
je suis donc ce qu’on me dit
à tel ou tel endroit du cargo
par exemple
je filme la nuit de ma cabine
par exemple
j’écris donc en ce moment même tous feux éteints dans la cabine
pendant que ça filme
pendant donc que ça devient noir
pendant que sous mes yeux l’écran est noir
pendant que la nuit est noire ça y est, à 19h10, en mer rouge
les halos jaunes des luminaires tungstène des villages de pêcheurs de la côte, au loin à babord
et des bateaux croisés
sous la lune pleine presque pleine en ce dimanche 6 août
en cabine le temps passe
au rythme aussi
de ce son si singulier de l’horloge de marine
synchronisée avec l’horloge-maître du bridge
partout dans tous les espaces la même horloge synchronisée
qui est la référence de temps commune pour tout ce qui a lieu
ici
dans cet ici en mouvance qui est en même temps un ici partagé
un ici pour chacun au momment où c’est partagé
parce que le lieu de travail est celui-là
cet ici mobile
qui n’a lieu que parce qu’on travaille pour moins cher à l’autre bout du monde
qui n’a lieu que parce qu’on construit en démesure dans le désert
qui a lieu parce qu’on veut consommer quelque part ce qui est fait ailleurs
et personne à bord
personne à ce bord n’est de cet ici
c’est un ici partiel, ponctuel, le temps d’une traversée
qui n’est pas le même temps pour chacun
3 mois pour le commandant
3 mois pour le chef moteur
les mêmes trois mois pour tous les deux
une équipe donc qui débarque et embarque en même temps
pas forcément sur le même navire
cette fois ont embarqué au havre, eux aussi
sont donc là pour deux rounds
et trois mois à terre
pour les autres
trois mois aussi pour les officiers
en décalé les uns par rapport aux autres
un grand nombre débarque comme moi à port klang et seront remplacés par de nouveaux
qui entameront alors leurs trois mois
un mois pour le roumain qui vient en soutien du referman
aider à la maintenance des containers réfrigérés (qui sont plus de 300)
qui débarque aussi en malaisie
et 9 mois pour les philippins
ce temps des philippins est compté en rounds
un aller /retour europe : asie est un round
on sera en vacances dans plusieurs rounds
il y a un nouveau contrat à chaque fois
une visite médicale à chaque fois
s’entraîner en salle de gym alors est aussi important pour passer la prochaine visite
et
la concurrence vient maintenant des sri lankais
said my gym mate
des sri lankais qui s’embarquent et travaillent moins cher
20 06
aller se coucher, poursuivre « the plot »
aujourd’hui lundi 7 août 17
en mer rouge
13e jour de navigation
5h15
lever
l’air est déjà jaune
soleil levé, oui
jaune clair dans la brume de mer
cap plein sud
à nouveau dans des ondes radio
en 98 99 fm, de la musique
un peu plus loin, la morale coranique d’Arabie Saoudite
« shib al-jazeera arabia » la presqu’île arabique
sur la passerelle au soleil babord,
étouffant déjà
filmé 5 minutes
en nage
des mouches vertes
des moucherons collants
hyper rapides
et toujours
depuis l’Egypte
des libellules
la mer est moutonneuse
et calme
plus de terre en vue, d’aucun côté
7h00
soleil brûlant même en pleine mer
à terre, comment ???
atmosphère blanche d’air humide et de soleil brûlant
plomb
déjà 279 go de données images et son
journée à chercher
sans trouver
des fulgurances passent
mais rien de reste
alors une heure de rameur
et une demi heure de piscine
tout à fait étrange de nager dans une piscine
cette fois emplie
d’eau de la mer rouge
en navigant sur la mer rouge
l’eau est à plus de 30°
plus salée et portante que celle de la Méditerranée
on reste à flot même droit
sans faire un mouvement
impressionnant pouvoir du sel
être à bord en regardeur
être à côté d’une activité
peu à peu entrer en contact avec certains
une familiarité se développe
dans le temps passé ensemble
quelque chose qui détend
pendant qu’un philippin graisse les câbles du safety boat
je nage
c’est-à-dire je prends du plaisir pendant que tout autour
on s’affaire
on travaille
un ensemble d’activités combinées dont la somme
est la bonne marche de tout ce qui est à bord
les machines les marchandises les hommes
c’est-à-dire que je crée une distorsion
c’est une position en distorsion
rien ne change
évidemment
distorsion du temps
de la position
de l’état
du but
des raisons de la présence
tout ce que j’enregistre à la radio
le faire traduire
quel sera l’objet ainsi de ce que je filme, enregistre, écris :
traverser des zones
des zones de langues
c’est absolument ce qui se passe
c’est cela qui se passe
une forme qui est une traversée des langues
une forme purement sensitive
il n’empêche qu’il faudra faire traduire
garder un budget pour cela
oui
ce sont des zones d’invisible
et pourtant
dans l’espace
là
là dans l’espace que je filme
qui est la mer
qui est la mer des bateaux des machines du commerce
qui n’est plus la mer de l’aventure plus du tout en aucun cas
partout des voix
des voix d’hommes qui parlent dans un but
loin de la poésie
tous parlent dans un but, particulièrement il semble les radios que je capte ici en mer rouge
au milieu de la mer rouge
entre l’arabie saoudite et l’Egypte
il est très beau cet arabe, il est moral, il est de sourates et de nouvelles, parfois de mini sketchs, alors devient populaire
ce voyage ce n’est pas tant aller voir comment ça se passe ailleurs
puisque ça se passe d’une manière ou d’une autre
et que partout, il y a ceux qui ont et ceux qui n’ont pas
avec tous les degrés de puissance et de souffrance
avec tous les degrés d’humanité et d’inhumanité
20h30
je reviens de la piscine
après the BBQ party sur le deck A extérieur
oui
une fête
table avec nappe blanche du capitaine et des officiers
et chaises en bois et faux-cuir prélevé dans la salle de repas des philippins
tables et bancs en bois venus du tas entreposé au bord de la piscine
chacun se fait cuire ses shrimps pork beef chicken
barbecue plus les 40° de l’air
chemise absolument trempée en 10 minutes
puis la brise avec la lune
j’ai navigué de la table du captain, où tous parlaient croates
à celle des cadets (arabes)
à celle des philippins
puis aux croates debout près du bord, fumant et parlant de whatnot
bref
une fête en mer
une fête de travail
une fête de travail en mer
bruyante à un point
au milieu du bruit des ventilateurs
omniprésent
ceux des cargos réfrigérés
marchandises enssentielles
vins, médicaments, fromages, autres denrées alimentaires, condoms
…
discuté, pas mal, des dicussions de fête
de la punition que le capitaine voulait donner au réfugié algérien à la barque bleue
à sa petite amie qui emmerde Damian, un des referman
du travail des officiers et de ce que je fais dans la vie
sommes avant La Mecque
La Mecque ce sera à minuit
si on se rapproche de la mer, la lune est déjà haute
il est 19h00
pleine
mer peu agitée par vent de force 4 maintenant
5 toute la journée
c’est-à-dire peu
des moutons blancs
du banc qui se crée dans l’eau et disparaît
de l’oxygène qui apparaît puis se dissout dans l’atsmosphère
après la fête, désertée par tous
sauf quelques philippins bien entamés par la strong bier
et aleksandar en pleine discussion croate avec le chef ingénieur machine dragomir
plongeon dans la piscine sombre
ce n’est rien
cette piscine
c’est une piscine de cargo
donc quelque chose d’utile
donc quelque chose qui n’est pas
une piscine comme on imagine une piscine
mais qui est tout de même
un vrai plaisir
de nuit
38° dehors
l’eau à 35° encore
nager te donnerait chaud
et
j’ai appris d’où vient le « kumusta ka » du tagalog (pilipino)
de como esta, des espagnols, puisque…
como esta > kumusta
c’est beau, l’oreille humaine
aujourd’hui 8 août 17
en mer rouge
après La Mecque
lever à 5h30
soleil déjà haut
air chaud
filmé
enregistré
7h30
début du travail sur le tamoul
hier, après une deuxième approche
ai laissé tombé
impossible alors de comprendre comment, avec mes trois sources complémentaires pourtant,
fonctionne l’alphabet
aujourd’hui
après 4 cafés en cabine
à refaire un tableau pour comparer les lettres
compris la manière dont s’articule les lettres seules (consonnes ou voyelles) et leurs combinatoires avec les voyelles longues ou courtes
ce qui fait un très grand nombre de signes, si on les prend syllabe à syllabe
mais qui permet ainsi de comprendre la manière dont la langue fonctionne dans son écrit
les signes se transforment avec la voyelle (certains, les plus nombreux)
du coup, habituer le regard à cette transformation, qui est presque (tout est dans le presque) toujours identique d’une consonne à une autre
ici, la grand difficulté — la première identifiée — est donc celle-ci, plus la ressemblance entre eux de certains signes (en tout cas
pour un oeil non encore exercé comme le mien)
pas encore compris, cependant, quand tel signe se dit p ou b, puisque les deux équivalences sonores existent pour une même lettre
un son entre les deux, comme cela arrive souvent
la brume de mer aujourd’hui très forte
en tout début de journée
avant le tamoul
c’était, vers 5h30, étouffant dehors, pas un souffle d’air
forte odeur de mazout brûlé
brume âcre
moite
l’air poisse, littéralement
et
dès que la porte refermée, à nouveau en atmosphère pressurisée et climatisée
soulagement
vision soudaine d’un monde où l’extérieur ne serait plus vivable — déjà là, donc, mais vision répandue à toute la planète
où seulement des filtres permettraient (ainsi ce qui a lieu ici), de respirer
quel luxe inouï, ce possible d’une vie où, dans quelques zones d’Europe et d’Amérique du nord
et très rares ailleurs
ce possible d’une vie à « manger bio »
ici, à bord
et tout alentour
depuis des jours
pure fiction
chaque partie du bateau est chaude
tout est presque brûlant au toucher
tellement l’air chauffe le métal des rambardes des ponts des passerelles
de l’intérieur, les vitres des hublots sont chaudes
malgré la climatisation
l’air est une matière visible
mêlée d’eau
une lumière d’hiver
si on ne sait pas la chaleur torride, plus de 40° à l’extérieur
alors que 20° dans le château
il me manque encore une lettre en tamil pour comprendre le fonctionnement complètement ? de l’écriture
à suivre
après le nouveau changement d’eau
piscine quasiment aussi chaude que l’air, aujourd’hui
le vaisseau prend l’eau de mer pour tout un tas d’activités
et la rejette ensuite
traitée certes
il n’y a pas d’autonomie, à part de mazout et de nourriture, d’eau de source
le reste vient des ressources extérieures
via filtres et traitements chimiques et physiques
il y a quand même, bien que cela soit d’un quotidien pour tous ceux qui travaillent en mer
quelque chose dans la navigation au long cours
de tout à fait singulier
un temps suspendu et déroulant tout autant
un temps qui n’en finit pas de se répéter
et change sans cesse
en même temps change sans cesse
et se retrouve même
d’une façon très inouïe
pendant que sur la radio d’arabie on parle du terrorisme, de daech, du président français et de boko aram
naviguer, travailler ainsi, at sea
c’est-à-dire être d’un monde et en traverser un autre
sans échange possible
18h13
nuit noire depuis une demie heure
annonce au hp central de la cabine
all crew and passenger
this night the clocks will be advanced by one hour
this night the clocks will be advanced by one hour
thank you and good apetite
de retour en cabine après le repas, que j’ai pris bien plus tard ce soir
une mini rebellion dans cette univers très très cadré
quasi militaire dans les rapports en temps de travail
donc un dîner à 18h23
demandé au messman Rodger si je pouvais l’interviewer en warai-warai
on prend rendez-vous
mais on a du temps
on vit dans un espace très réduit, quoique suffisamment vaste pour ne pas s’entendre
sauf, bien sûr, les philippins, qui sont à deux par cabine
personne, jamais, sur les passerelles extérieures
hors bien sûr le bridge
20 09 le sommeil guette
je rentre une liste de vocabulaire en malais
histoire d’avancer le travail, je ne reste pas si longtemps en malaisia
aujourd’hui 9 août
le temps a avancé d’une heure cette nuit
à l’aube
un rocher, puis deux et trois
babord
dans la brume chaude de l’aube
maintenant, à 11h50 heure du bateau
10h50 heure de france
sommes au large de Djibouti
security level 2
ce qui veut dire, ne pas attirer l’attention
occulter les fenêtres
pas d’autres lumières que les feux de position
la mer grise, sale
étale
force 1
après-midi
effets d’optique
très beau moment à regarder la mer côté starboard tribord
assis sur la passerelle du F deck
naviguons plein est, donc golfe d’aden en plein
sommes sortis de la mer rouge
et donc
à regarder la mer qui est maintenant l’océan
à travers la passerellle adossé contre la paroi du château
après avoir longuement regardé la mer
et avoir reporté l’oeil au sol
ça s’est mis à bouger, calmement
le sol
vert recouvert d’un peu de sable du désert
le vert sombre ressort là où il y a eu de l’eau (il a plu un peu ce matin)
regarder la mer longtemps
(c’est-à-dire la mer qui bouge et le bateau qui est en mouvement dans le même temps)
puis le sol
alors
autour des pieds tout bouge selon un mouvement lent
comme un matériau huileux mis en mouvement autour d’obstacles
étrange et naturel
toute la surface de la passerelle, partout où se fixe le regard, ainsi en mouvement lent et régulier
un mouvement de tourbillons lents
comme si la couleur prenait vie
la couleur comme dans le pot mais étalée
là
et puis
à regarder la mer (sans l’horizon) à travers les barreaux (horizontaux, et les montants verticaux de la passerelle)
ce qui fait comme une fenêtre plus large que haute
eh bien les barreaux horizontaux disparaissent
il n’y a plus que l’océan indien sans contrainte
fort
j’y retourne
…
ce matin
passé une demi-heure en salle des machines
générateurs, moteur
hallucinant de chaleur
et des hommes y travaillent toute la journée
philippins et croates (les 3e ingénieurs) ou les referman
filmé
observé les gigantesques cheminées d’échappement
le bloc moteur
les tuyaux d’arrivée de fuel
les générateurs
le piston neuf en remplacement au cas où
une colonne de trois mètres de haut
une puissance léviathan
le gigantesque arbre qui meut l’hélice de l’autre côté de la coque
puisque là, bien spur, nous sommes sous le niveau de la mer
…
les hirondelles apparues en mer rouge sont toujours là
volent au-dessus des containers à babord
…
les micro climats du cargo
babord, port side côté soleil qui va se coucher (il est 16h, dans deux heures sans doute)
chaud, un peu d’air, mais chaud, moite et la sueur vient, même à rester immobile à filmer
à tribord starboard side,
brise fraîche, ombre, pas de mouche, pas d’hirondelles
rester assis plusieurs heures
à regarder
dans le vent du large, et là l’oeil est plein sud, vers Madagascar
travail du tamoul
après avoir clos pour le moment (avec les ressources dont je dispose) la liste du vocabulaire malais
cela semble simple, le malais
à voir avec la grammaire, dont je n’ai qu’une méthode qui date de 1842
à updater
tamoul, donc, je commence à reconnaître ces belles lettres மு க ன் ம mu ka n ma
avec le . au dessus du ம், m on peut écrire mukam, le visage முகம் (mukam)
absolument magnifique cette écriture
mais c’est très lent de déchiffrer chaque mot, reconnaître les lettres et leur combinaison
par exemple
avec la lettre த் t, on écrit
த ta தா taa தி ti தீ tii து tu தூ tuu தெ té தே téé தை taï தொ to தோ too et தௌ tao
:-))
et il y en a quelques-unes ainsi, à retenir
depuis ce matin
à peine une radio arabe, en tout début de bande passante
dîné d’une presque moitié de canard, riz et salade, ananas
trop
alors
ensuite
piscine, une demi-heure
dans le noir
deck a
dehors l’air plus frais que l’eau cette fois
à peine
mais une sensation de cet ordre
repris le tamil au retour
envoyé des mails de contact
le navire adapte sa vitesse en fonction des conditions de la mer, du vent, des agendas, etc.
l’ordinateur pilote
ça se sent dans les jambes, debout
ou ça se sent, quand, assis à écrire, à lire
moins dans le lit
c’est assez étonnant d’être ainsi en lien physique avec les forces qui se modifient
la surface de l’eau dans la bouteille de mountain spring water From Provence
est le visible précis de ces mouvements
et relevé un peu avant 22 heures d’ici
il y a du bruit dans le couloir
des Philippins dans la micro bibliothèque salle de connexion codée à Internet en face
(ils m’auront d’ailleurs réveillé à nouveau à 1h du matin)
révisent pour les examens d’après-demain
sorti à starboard
la lune éclaire l’océan
qui sent fort ce soir
qui remue le navire d’une puissante houle
c’est ça que je cherchai, aussi, de sentir la puissance de l’élément
et ce qui a fait défaut en méditerranée
à nouveau entièrement totalement
sur une planète
seuls à la surface d’un océan planétaire sans frontières
la lune et la houle qui dressent des gerbes sur les flancs du navire
c’est ce temps de la traversée
du temps et de l’espace de la planète
ce temps qui passe en avancée
c’est cela qui permet précisément d’évaluer la distance
de la mesurer totalement
de sentir un monde
un monde absolument inséparé
c’est moins aller quelque part qu’être
dans le chemin
parce que cela prend du temps
et qu’ainsi se sentent les différences de l’atmosphère
les changements d’une heure à l’autre , les textures de l’air et de la mer
les couleurs et les mouvements
voir le cycle des jours et des nuits dans un même mouvement en continu
est une chose inouïe
c’est-à-dire ne pas être dans un lieu
mais être en même temps dans le mouvement de la terre
et sentir cette absolue immensité de l’océan la nuit
hors les hommes
hors le commerce des hommes et leurs pensées
en connexion avec leur état de sommeil
planète loin des hommes
en mer
ainsi sans terre à perte de vue
sous la lune
sur un vaisseau qui trace un sillage vite effacé
être
au milieu de cette force inouïe
c’est une émotion sans précédent
une réconnaissance et une inquiétude
et là en ce moment précisément
la mer est soulevée par la lune
tous mouvements ensemble mêlés
et dissous aussitôt
si ce n’est en profondeur
aujourd’hui 10 août
océan indien
levé à 5h heure de l’ordinateur
l’océan
la houle
vaste
puissante
qui fouette le navire
même avec cette force faible
les mouvements de l’océan en direction de la terre
vers khorfakkan
en travers des vastes plis de l’océan qui heurtent le navire à tribord
et poursuivent leur chemin à babord vers l’arabie
gerbes d’écumes
plus aucune onde radio portant des voix ce matin
parti enregistré la masse sonore de la houle contre les flancs
descendu à starboard side
enregistré la descente le passage par différentes zones de bruit
celui omnipréent des réfrigérés
qui en bas au deck A est assourdissant
trouvé un endroit d’où capter la houle
mais il y a toujours le son des ventilateurs
c’est ce qui m’aura accompagné tout au long des jours
c’est le son du cargo
c’est le son autour du château
en proue ou poupe, le vent et l’océan, et les grincements, parfois, des masses de containers empilés
de la coque au ciel
tout est devenu collant au toucher, et glissant d’embrunts déposés
retour en cabine à 6h22 heure ordi, 7h22 heure du Von Humboldt
un détour par le pont, pour voir notre position
à cette heure exactement nous sommes à hauteur
du sultanat d’Oman
le Yémen dépasssé
toujours en security level 2
cette nuit encore, les hublots occultés
et pas une lumière ne filtrait du cargo
en même temps absolument éclairé par la lune encore presque pleine
dont 15° latitude et 52° longitude
si je me souviens bien
position du navire relayée en temps réel sur les écrans
et comparée avec les positions des derniers rounds
reportés sur des cartes papier
posées sur le vaste bureau
toutes les données sont doublées sur carte papier et carnets papier
tous les instruments de navigation ont aussi leur double analogique, si je puis dire
lu sur la carte, écrit au crayon de papier et entouré de même : xx xx 2016, attaque par des pirates d’un cargo container
position dépassée de quelques dizaines de miles de notre point actuel
en somme, cela arrive
la houle toujours, qui remue l’ensemble des structures
aller donc au deck U pour enregistrer sans le bruit des ventilateurs
depuis trois jours, je fais mon lit à la manière des marins
bords de couette repliés sur le dessous de la couette, au droit du matelas, le tout tendu
un peu de tamoul avant de repartir enregistrer
je viens de comprendre quelque chose de plus dans la combinatoire possible des voyelles
reste à le faire au clavier ce à quoi je n’arrive pas encore
retour d’enregistrements, son et images
sortir le long du vaisseau, marcher sur le passage des hommes sous les tonnes de marchandises,
il faut prendre un casque
et comme nous sommes en security level 2, emporter un talkie
whatever
avertir le pont que The Passenger is outside
saisir ainsi que l’ensemble du château, des ponts U à G et au bridge au-dessus
peut s’isoler, via porte codée, de ce qui devient alors l’extérieur, c’est-à-dire la cargaison
tout est en isolement possible
on n’accède au moteur que par l’intérieur, etc.
et il y a également un bunker où tout l’équipage peut s’enfermer
et vivre des jours en isolement complet
en attente de
la question est
de quoi
et
combien de jours
parlé avec Aleksandar le monténégrin, deuxième du navire
in charge of all the operations when at sea, apart the watch and the navigation
de la cargaison du coût du transport
1015 tonnes de fuel par jour de navigation
et nous ne sommes pas à pleine vitesse
parlé des containers vides qui repartent en ce moment vers l’Asie
et de tout ce qui se prépare pour les noëls occidentaux
les vaisseaux seront à plein en octobre novembre décembre
containers emplis
de marchandises pour les étals européens et américains
et du reste du monde
aujourd’hui il existe aussi des cargos réfrigérés avec des créatures vivantes, homards, langoustines, etc, avec de l’eau en mouvement
animaux-pour-mourir-et-être-dégustés dans les très chers restaurants de la planète
imaginer le huge amount la masse d’argent que représente tout ce qu’il y a à bord
ça occupe de l’espace, du poids, ça demande de l’énergie et des hommes
c’est tangible, enfin
c’est un volume
c’est une échelle
imaginer le nombre de marchandises qui circulent ainsi sur les mers
cette masse gigantesque d’objets matières de toutes sortes
cette partie de l’océan
gris brun, sale avec des éléments flottant à la surface
sommes pourtant loin de la terre
les courants brassent
toujours la houle, puissante
légèrement plus calme que ce matin cependant
la température monte
piscine à 11h00
l’eau suit le mouvement de pendule du navire
nager toujours dans l’eau de la mer rouge en plein océan indien
encore ce sentiment d’étrangeté
la houle est plus forte maintenant, le vaisseau bouge et craque
à marcher dans les couloirs (orientés babord tribord) qui sont exactement dans l’axe contraire du mouvement de la houle
ça roule donc
de babord à tribord
et inversement
pour aller filmer
le sol s’enfonce ou résiste, ça monte et ça descend à très peu d’intervalles de temps
se dire, tiens, c’est là que je vais être malade
et non
quelque chose se passe
mais pas à ce point
y compris après le déjeuner
c’est de l’ordre de la pesanteur, qui se modifie légèrement
et vite
ou de la pression
apprendre au corps à anticiper
à moduler son attente d’un sol stable
remis à après khor l’itw en warai warai avec Rogelio
d’abord, mes questions ne sont pas prêtes, suffisamment
ensuite
tout l’équipage philippin et croate a un contrôle de connnaissances
pour le lendemain
piscine, à nouveau
après la séance de travail avec Sarra, LA cadet de l’équipage, marocaine
une heure à écouter mes enregistrements des zones de radios arabes
égyptiennes et saoudiennes
je sais de quoi cela parle, en gros, elle confirme et précise
ne s’agissait que d’indiciel pas de traduction complète ce qui aurait pris des heures
ce sera pour le retour
l’eau de la piscine plus chaude que l’air, tombé à 26° dans cette zone de l’océan indien
au large du sultanat d’Oman
encore
demain vers midi devrait être la fin du security level 2
la houle de plus en plus forte
cette nuit nous avancerons d’une heure encore
début à 20h
demain, on sera UTC + 4
par moments, la houle est si forte
en écrivant
le siège qui est sur axe mobile tourne à droite ou à gauche, selon
et tout se penche
c’est-à-dire sentir que tout se penche
même sans aucun point de référence avec l’extérieur
le corps sait l’axe vertical par rapport à la surface de la planète
maintenant, traverser la cabine c’est monter ou descendre, selon
c’est être ralenti ou porté en avant
à l’instant, 20h00
le temps a avancé sous mes yeux de 27 minutes
avant de reculer de 2 minutes
il est d’un coup 20h25
26 maintenant
le stylo sur le bureau oscille
21h maintenant
suis sorti à l’instant sur la passerelle, nuit noire complètement
la lune derrière des nuages
seules les masses blanches de l’écume sont des bribes de clarté
black out total,
ce soir
le von humboldt est un bruit qui avance
aujourd’hui 11 août 17
mer d’arabie au large d’oman, toujours
4h50 heure française
6h50 heure du Von Humboldt
de micro nuages bas, gris sombre, nous dépassent
marchons plein est, à quelques degrés près
soleil déjà haut à tribord
vent sud sud est
les échappements bleu jaune-brun du moteur ce matin sont au ras de l’eau
envoyés vers la proue à babord
retour au tamil
கணுக்கால் la cheville
நாக்கு la langue (naakku), le u se preononce vers le « eu », et il y a un mouillé dans le palais, souvent, d’ailleurs
தோள் l’épaule (tooL)
காற்று l’air, kaaRRu
travail allongé, aujourd’hui, la houle, forte parfois, fait tourner le fauteuil du bureau, et glisser les livres
sur le lit, parfait, rien ne bouge
le métal craque
je dois descendre sous le niveau de la mer pour enregistrer ce que ça donne à même la coque
plutôt acrobatique, la douche
se tenir à la poignée
comprendre — prendre en main — pourquoi il y a deux poignées dans le cabinet de toilette
et rester de profil par rapport au roulis
sinon… basculement
eau un peu jaune, de débit variable en fonction du mouvement de bascule
j’aime
sortir du cabinet de toilette — légèrement surélevé d’une quinzaine de cm par rapport au reste de la cabine —
et le sol est plus bas qu’attendu par le corps
il y aurait ainsi une connaissance en permanence de la hauteur des éléments sur lesquels on marche
en fonction des différences de pression
en ce moment
le sol n’a jamais la même inclinaison donc pas la même pression
paramètres qui surpennent mes capteurs
qui auraient tendance à oublier ça par moments
retour au bureau en attendant Roger
pour y arriver, trajectoire de la marche légèrement déviée
vocabulaire tamil
infiniment lent cet apprentissage
reconnaissance laborieuse des signes
et leur écriture
les couleurs, maintenant : jaune vert bleu
மருசள்
பச்சை
நீலம்
sieste, la houle forte, c’est finalement assez fatigant…
puis salle de gym et piscine avant de retourner aux couleurs
puis au maquillage
resté au niveau du deck A de la piscine, à tribord, près de l’océan
le passage du navire fait s’envoler un nombre impressionnant de poissons volants
bleu sombre
c’est curieux quand on y pense, un poisson volant
certains frappent le navire
retombent assommés (?)
ça penche
en salle de gym, absorbé par l’exercice au rameur, j’en ai parfois oublié le roulis, sauf aux étirements
où là se retrouve le déséquilibre
à la seconde
des nuages, bas, rapide, gris
et d’autres blancs, hauts dans le ciel
le moucheron, c’est-à-dire les moucherons, innombrables
et en génération spontanée
sont le compagnon indifférencié pourtant toujours renouvelé
du voyage en mer
une dizaine tués chaque jour, plutôt le soir, où ils sont plus lents
et le lendemain, au cours de la journée, d’autres apparaissent
même hublot fermé
17h51 : il pleut ?
ah non pas du tout, on lave le bridge deux étages au-dessus à grande eau…
après le dîner de 18h, le plus léger possible
resté dehors, longtemps
enfin ne plus être à soi mais à tout
retour cabine
n’être plus, alors, que dans l’entre-soi
aujourd’hui 12 août 17
golfe des émirats
lever à 5h, le jour à peine
mer plus calme
remontons nord vers khorfakkan
le soleil se lève à tribord
des cormorans accompagnent
toutes les nuits sont rêvées
longues en mer
reposantes
à nouveau dans le bain des ondes de la terre arabe
j’enregistre
un pétrolier orange et blanc dans la brume
soleil levant
les cormorans qui jouent à dépasser et à revenir au-dessus du vaisseau
sont des compagnons
la mouche du yemen entrée depuis quelques jours
qui se pose où elle veut
heureusement m’évite
est un compagnon
comme les libellules depuis l’Egypte
micro-monde
un vraquier au loin
l’océan presque d’huile
à peine plissé en surface
d’un vert de jade terne
tribord starboard side
donc, un poisson volant vole plusieurs mètres, voire une dizaine
en ligne assez droite, parfois un peu courbée
quand l’océan est calme
parfois, fait des ricochets avant de replonger
ainsi, un poisson volant, vu d’homme
c’est-à-dire à peine vu
toujours cette différence de climat entre tribord et babord
ceci, கண் இமை மை, c’est du mascara,
ça, கண்ணமடல் பூச்சு, du fard à paupière
et ça, நறுமணத்திரவம் du parfum
:-))))
messman Roger Rogelio is the best travelmate, always a story to tell about whatnot
life
the officers so strict, in comparison
during lunch, shouldering back to my table, chief engineer said :
you’ll see, at khorfakkan, there is a good duty free shop
you can buy alcohol
it’s twice as this room
you go by walk and return with their van
des ondes radio
toujours
cette fois
parmi les ondes en arabe
une radio commerciale américaine
un pétrolier, babord, proche
17h40 heure du von humboldt
france +2h
certes, nous naviguons sur une planète
une vedette militaire, grise, immobile
rappelle, cependant, qu’elle est divisée en territoires
மோதல் (moodal), c’est une bousculade
et
ழூச்சுவிடு (சுலாசி) c’est « respirer »
19h30, nuit noire et étoiles
la côte émiratie en vue
une bande discontinue d’éclairages jaune orangé du tungstène, plus ou moins puissants
demain, à quai
dernière étape avant port klang
une radio du sultanat d’oman
tout à fait pop
à 20h, la prière
khorfakkan en vue droit devant
au-dessus, la voie lactée
21h45
à quai
le bateau n’est plus une île flottante en isolement
désormais attaché pour quelques heures à la terre d’arabie
par des cordes
et le flux de marchandises
au-delà du port, la ville, route de front de mer et établissements chics
ce qui circule ne semble pas être de petites cylindrées
et renvoie l’éclat des lumières électriques
un panneau lumineux à l’effigie du Roi accueille
plus avant, dans une autre partie de la ville
un kfc et un pizza hut
ce qui me rappelle l’excellente mini série sur la guerre du koweit sur laquelle j’avais écrit
il y a quelques années
generation kill
dimanche 13 août 17
à quai à Khor Fakkan, émirat de Sharjah
17e jour
lever 5h
toute la nuit
depuis 22h15
le déchargement des containers
bruit discontinu des masses de métal vides ou pleines
être fixées par electro-aimant au chariot volant attaché par câble à la grue
et emportées dans les airs, déposé au sol
une à une toute la nuit, forward et aft
de chaque côté du château
parfois quand toutes les étapes sont dans une même fluidité
un container est chargé toutes les minutes
parfois, la cabine vibre
le navire oscille lentement en fonction des transferts de poids
cette nuit, le vide s’est fait au centre, jusqu’à fond de cale
vertigineux
rempli depuis
au loin à l’est, l’iran
à l’ouest, la ville de khor fakkan
au pied de montagnes rocheuses
sombres
sèches
un reste de fortification sur la gauche
à 5h30, des camions orange nettoient l’avenue du bord de mer
peu de voitures encore
blanches, toutes
la ville semble récente
mais la présence humaine attestée quelques millénaires avant 0
l’air est chaud humide
les optiques des jumelles et de l’appareil photo
se couvrent de buée
quelques minutes pour que le verre s’acclimate
de la climatisation à la température extérieure
déjà très forte
dans les cabines des immenses grues jaunes
des indiens aux commandes
au sol, des indiens
au volant des camions porte-containers, des indiens
l’indien aux manettes de la grue n° 15 a été remplacé il y a une heure par un asiatique
Roger est passé plus tôt
a dormi comme il a pu, lui aussi
ira au duty free at one, I’ll follow, to see
et poser le pied sur le sol d’arabie
un marin philippin est parti ce matin retrouver sa mère qui travaille à dubaï
qu’il n’a pas vu depuis 4 ans
sommes à 2h de route en taxi de dubaï
40$ si j’ai bien compris, au plus bas prix
le bruit du commerce va durer tout le jour
sur fond de la radio de Sharjah
signé quelques papiers pour sortir
j’ai un magnifique pass vert pour aller dans le port
tête bien déformée, a kind of freak
mais to go there, you have to take a helmet and a yellow CMA jacket
in order to be seen
19 rangées de containers en soute
21 rangées au-dessus du pont principal (u deck)
sur le u deck,
une ligne c’est 7 88888 999999999 88888 7 empilés en hauteur
donc 7 containers, puis 5 rangées de 8 puis 9 rangées de 9 puis 5 rangées de 8 puis une rangée de 7
il y a n rangées
la contenance totale du cargo est de 18 000 containers
et devant nous, à quai, un autre cargo
à nouveau cette immensité dense de la marchandise
11h15
parti, le Northern Practise basé à Monrovia, « petit » cargo
impossible d’aller plus avant en tamil, sans grammaire digne de ce nom
donc, incursion en vietnamien, histoire de continuer à défricher à tous vents
après le repas
à 13h10
enfin foulé le sol de l’arabie
d’une certaine manière
en homme perdu parmi les rangées de containers
les travailleurs habitués mais épuisés par les 47°
sur bitume, dans des cabines de camion non climatisées
entre les tôles des containers et le métal chauffé à blanc des grues
pour rallier
donc
le seamen’s club, duty free shop en tôle ondulée
cependant climatisé
où des marins philippins du von humboldt
boivent des bières
et rient
achètent des mauvais whiskeys et des bons chocolats f rochers
rient, renversent des bières
en veulent des free
et évidemment s’attirent les regards un rien méprisants des employés indiens du « club »
le duty est à l’ombre d’un reste rouillé de l’ancien port
acheté un super ddur de 3 to
et une tour souvenir burj khalifa
parce que, tout de même, on touche dubaï ici
dubaï, la dernière merveille du monde…
le navire tremble au chargement, qui prend du retard
première fois que je revoyais en terrien le von humboldt
et me revient l’écrasante sensation du premier jour, augmentée/diminuée par la vie à bord
aucune possibilité, photographique ou animée, de capter la sensation de démesure
l’objectif rase l’échelle
ne capte rien du sens
éventuellement la proportion, mais ça n’est rien
de ce qui a lieu
alors
quand on est sous la coque, bord quai, en proue
à côté et en même temps
sous la masse d’acier en courbe qui part rouge de l’eau et jusqu’à la limite de flottaison
puis bleue sombre jusqu’au U deck
des lettres blanches, fières, là où la bouteille de champagne
( dont les restes sont encadrés dans le bureau du capitaine )
maintenant, l’asiatique de la grue n°15 est à nouveau un indien
près du rocher d’où part la jetée, un pêcheur, au turban rose, emmené par un bateau taxi, vient de jeter son filet
il est 17h20
évidemment, des pétroliers au large, tout le temps
c’est curieux comme regarder la burj khalifa à échelle -n fois me ravit
à échelle 1, a été construite au prix de combien d’épuisement, de fatigue, mutilations, morts d’hommes
oui
comme Versailles, ou Chambord, ou Borobudur, ou Gizeh
tiendra-t-elle les six mois de ce voyage ?
la cale babord vidée en début d’après-midi se remplit
travées 18 16 14 12 par le bas, respectivement puis en montant
l’ensemble des structures du navire vibrent
c’est un son fort, métal contre métal, masse contre masse, immédiatement suivi de la vibration
chaque soudure chaque élément de métal (tout est en métal) répand l’onde
qui termine dans mes os, après forte dispersion
le choc est un signe, aussi, signifie que le conteneur est bien posé, ancré dans les formes du précédent
ou celles de fond de cale
un son différent, un poids mal réparti se sent au bout du câble
et nécessite de reprendre la manoeuvre
le même indien, moustachu, concentré, maintenant dans la cabine suspendue de la grue n° 15
comparer, une milliseconde, ses conditions de vie avec l’utopie (mais pas une, puisque réalisée
et suffisamment longtemps
pour en démontrer le possible advenu) de Guise
c’était il y a plus d’un siècle
à tribord, le long du quai, ce que nous allons manger les prochains jours vient d’être embarqué par la grue
melons d’eau d’espagne, salades vertes, yaourts, sacs de sel, etc.
qu’emportent les philippins — la pause au duty free est loin —
dans les chambres sèches et froides du vaisseau
dès l’accostage, hier soir, les poubelles (triées, label vert de la compagnie…) ont rempli une benne à quai
15h53 computer time, 17h53 local time
l’heure du dîner approche
petit pétrolier en approche et, plus loin
un porte-conteneur, encore
compagnie hapag-lloyd cette fois
le jour baisse
19.00
l’indien dans la cabine a changé
14 août 17
Khor Fakkan, émirat de Sharjah
à quai
lever à 6h
ce matin, au loin en direction du soleil levant, au large de khorakkan
19 pétroliers à la file, immobiles
déjà 30° à 6h
à 6h20, entre un « petit » cargo conteneur
ondes anglaises ce matin,
« Merge », radio en langue anglaise de Sharjah
early morning workout
la soupe du matin
hier soir un peu difficile de s’endormir, et jusqu’à 2h
vibrations et chocs de conteneurs empilés les uns après les autres
ce matin, de nouveaux compagnons de route
Tex, brun, quelques evergreen verts
des cma cgm bleu, un triton brun roux, un cai brun orangé
un florens, brun, en se penchant
les trois hublots avant à nouveau occupés
commencé un Ken mcLeod, night sessions, depuis plusieurs jours
une sf après les guerres de la foi du XXIe
vocabulaire plus contemporain que Roth — j’alterne — mais pas d’écriture
c’est juste horrible de lire cette langue, ainsi
d’un coup, alors qu’encore immobiles, Merge radio a décroché
à la place, du bruit
en s’approchant, le corps en antenne, à nouveau, ça revient, et c’est l’anniversaire
de certains people aujourd’hui, dont une ancienne reine de beauté, remember, 44 today
je passe au Coran
et au Vietnamien
ce qui va être très complexe, dans cette ancienne et riche langue
dont on sent l’épaisseur du sens, donc le temps de la langue dans la langue
déjà, dès la première approche
ce qui va être complexe, donc, c’est d’utiliser les bons ensemble de mots
pour exprimer ce que je voudrai écrire
à lire, c’est simple, mais le pas est autre à l’écrit
par exemple
đợi attendre
mong attendre ,espérer
mong đợi attendre avec un certain espoir
ou
quen thuộc familier
est fait de
quen connaître
et
thuộc appartenir
c’est une langue isolante, c’est-à-dire que chaque élément de sens est donné par un mot différent
(« comme » le tahitien)
un nom + un marqueur de pluriel (séparé), ce qui fait deux mots pour un seul mot en fançais
une « librairie » se dit pluriel+maison+marchandises+livre
các cửa hàng sách
et sans parler des tons
a à á ạ ã ả ă ằ ắ ặ ẵ ẳ â ầ ấ ậ ẫ ẩ
marqués ainsi, rien que pour le « a »
:-))))
je suis donc pour le moment dans la reconnaissance structurelle et sémiotique
mais dans une musique très approximative
ce qui est une approche paradoxale d’une langue parlée
à tribord, « loin », les conteneurs sont toujours en cours de chargement
au sol, la théorie de camions porte-conteneurs est sans fin
ici, c’est bien sûr moins cher de garder autant d’hommes plutôt que de « moderniser »
comme à Rotterdam, où plus d’humain au sol
où tout est piloté d’une tour de contrôle
les grues ont changé cette nuit
l’indien moustachu d’hier opère en grue n° 18
mais toujours sur la même travée
celle au plus proche de la cabine où je suis
après une heure de Coran
retour à merge
traffic pretty calm this morning
on highways
repensé, en regardant le large
à un moment, en mer d’oman, vers le soir
après avoir longuement regardé la mer, cru voir des têtes émerger de temps à autre
des formes sombres en forme de têtes
il y a des sirènes par là
12h20
le von Humboldt se détache du quai
au loin, la longue plage déserte
sauf un homme en habits noirs qui s’entraîne au combat, face à la mer
plus loin, cinq autres plongent habillés dans l’eau
plus loin, une barque de pêcheur, les filets en tas au milieu, quitte lentement le rivage
un remorqueur pousse le von Humboldt, une fois sorti de la rade,
pour aider au demi-tour
13h, le pilote du port quitte le navire
le bateau est chargé à bloc
100 000 chevaux le lancent lentement
cap sur port klang
un autre porte-container à babord
et s’éloigne sharjah, coupée en deux par un pan de montagne
d’un côté la ville plus ancienne
l’autre, côté port, plus moderne
l’eau en bord de plage est turquoise
ah, vérification faite, dubaï était à 200$ en taxi et pas 40
of course
en un quart d’heure les montagnes ont disparu dans la brume de chaleur
38° maintenant
les pétroliers du lointain sont à portée maintenant, vides, toujours en attente
et puis
enfin
à nouveau
la planète océan
et son mouvement
3e texte d’étude en vietnamien, où il est question des magnifiques paysages
de la baie d’Halong vịnh Hạ long
qui baigne la région de Hồng Quảng
với những mỏ than giàu có (avec / indicateur pluriel exclusif / mine / charbon /riche)
riche en mines de charbon
un peu avant 16h
après avoir lu sur la passerelle
je rallume la radio tamashi
à nouveau dans les ondes humaines plurielles
des radios iraniennes
d’autres, très pop, du Pakistan sans doute, en langue indienne
et d’autres en langue arabe, toujours
l’air au-dessus de l’océan empli de voix et de sons
en pleine extase entre les langues, pendant plus d’une heure
pur tangible du chemin de langues
présences invisibles portées par une dimension du spectre électromagnétique
goûté, avec le verre de vin du soir — j’ai droit à une bouteille de ce vin espagnol
d’une coopérative d’extramadura tous les deux jours — le petit mélange navrattan acheté au seamen’s club de Khor
tout à fait parfait, very very spicy
mixture of chickpeas Pulse, lentils, peanuts, puffed rice ans sun dried potato chips
masquant certes un peu le goût du vin
et importé d’inde
en plus de ceux de kuala
des contacts intéressants se précisent à malacca pour la fin du mois
il semble qu’il ne reste plus qu’une semaine de navigation
pointe de regret, le temps à bord est riche en tous sens
à un quart d’heure du dîner, le vent du large est chaud, très
regarder l’océan
je ne vois personne le regarder
sur le pont, là où en permanence se surveille la navigation, le watch
évidemment ce qui de la mer est vu est son état
la force du vent, l’orientation du navire, les autres bateaux
c’est-à-dire l’ensemble des dangers potentiels
c’est une force de ralenti
une durée à surveiller entre deux escales
l’océan est un milieu de travail
(à nuancer plus tard)
pour les marins philippins et les 3e ingénieurs ou marins croates
durs au travail
soit en extérieur, chaleur ou froid
soit dans les plus de 40° des salles du moteur, des compresseurs, etc…
pas de sortie non plus
on regarde des enregistrements sur le grand écran de la salle de détente recreation room des philippins
en tagalog ou en anglais
et on joue à la PSP, foot ou autre, dans celle des officiers
— hier soir, le jeune roumain en renfort pour s’occuper des refrigerated cargos, et le cadet tunisien, en match de foot PSP
vainqueur, les roumains, mais « les tunisiens se sont bien battus », as said at lunchtime —
on ne sort pas dehors
je ne vois personne dehors, après les heures de travail, avant
ou dans la nuit
sur l’océan, c’est un temps suspendu, dans un monde clos
quelque chose de cet ordre
un temps suspendu de trois mois, de six mois ou de neuf mois
dans un espace donné
tous les espaces, et les temps
hors la recreation room, et les cabines
sont des espaces de travail
more or less
ce qui accroit évidemment l’étrangeté — certes familières maintenant, et générique pour tout passager — de ma présence
je vis un voyage en cargo comme on faisait le « voyage en Italie »
ce qui
contraste
à l’instant même, 18h00,
to all the crew and passenger
please be advise that all the clocks will be advanced one hour tonight
(bis)
thank you, and good apetite
l’éloignement, plus encore, donc
me demandant ce qu’était l’écume
certes de l’oxygène précipité, d’où le blanc (une émulsion)
mais aussi de la matière organique issue de la décomposition du vivant
donc, des sucres des lipides et des protéines en suspension
et qui se dispersent avec l’oxygène quand l’eau est plus agitée
à regarder au coucher du jour l’océan
dans le vent fort
penser (puis-je le sentir ?) que tout ce qui est, d’une manière ou d’une autre, y compris les roches sédimentaires (pour partie) vient de là
de l’océan
enfin d’un état très antérieur de l’océan
se souvenir
donc
traverser le temps de l’océan et se souvenir
de ce qui est, en soi
mardi 15 août
océan indien
lever 7h !
à 4h cette nuit, quand il était encore 4 h, enregistré le son de l’océan
à ciel étoilé
ce matin, ciel et mer, gris
vent de force 4
les protéines s’écument
d’autres forces s’exercent sur les containers et les structures
tout grince à forward
la houle revient
quelques chocs d’objets non arrimés
sur les ondes
à chaque pôle du spectre fm
en début, le coran
en fin, une sorte de medley musical arabe
au milieu, bruissent les ondes indéterminées
à 11h, plus aucune onde de voix
tôi (là) sừng sững hôm nay
(je suis immobile aujourd’hui)
(là) : apparemment la copule « là » n’est pas nécessaire pour définir un état
…
en enregistrant les paquets de mer contre la coque
poissons volants en tous sens
certains en vol de plus de 30 mètres, et passant au-dessus des vagues
avant de descendre
vus d’en haut, à plus de 40 mètres au-dessus du niveau de la mer
semblent des lames effilées plongeant
l’océan est noir à tribord, sous le soleil dans le gris lumineux du ciel couvert
noir comme un immense bloc de verre épais
du verre en mouvement
d’une autre physique
imaginer le poids transporté
chaque conteneur, poids à vide, 3,870 T
pour mémoire, 18 000 conteneurs de capacité
poids total possible 32,5 T par conteneur
à vide, cela fait déjà 68400 tonnes
donc pleins tous, à une moyenne de 20 tonnes chacun
cela fait déjà 428 400 tonnes de marchandise
« asia is the most valuable line for the company »
said aleksandar
who goes to vacations 20 days after port klang, and for three months
i willl train myself in croatian with him, at the U deck office
…
after the party, 8h
our position 20° x 64°, india’s coast far away port side
at the middle of the ocean
tomorrow, or the day after, sri lanka
and on 22nd thursday, port klang
finalement, ai parlé avec le gars de mindanao de ses retrouvailles avec sa mère
à dubaï, où elle est infirmière dans une clinique
c’était 70$ pour y aller, + les 50$ de l’immigration (pour une journée en débarquement à Sharjah…)
tarif de taxi collectif
dubaï is a very very big city
they don’t have oil so they build the city, where everything is the biggest in the world
cette question des classificateurs en vietnamien intrigante, encore
puisque cela dépend parfois de l’option d’expression qu’on veut prendre
ils sont parfois nécessaire, et dans d’autres cas, non…
avec cette nuance qu’un nom avec son classificteur (placé avant toujours) désigne plutôt un objet particulier
et que sans, c’est plutôt l’objet en général dans sa catégorie
aujourd’hui mercredi 16 août 17
très au large de l’Inde
lever à 6h
7h45 soleil déjà assez haut, perce à l’instant le front de nuages de l’horizon, cabine à l’est
cap est sud est
air chaud, déjà, dans cette zone
burj khalifa semble tellement loin
l’est
sur le bureau, sa réduction fait 10cm de haut
correspondrait donc à la tour à échelle 1 vu à combien de kilomètres de distance ?
classificateurs en vietnamien, suite
par exemple
cái >objets en général
chiếc > les véhicules, bateaux, avions, équipmts techniques
tấm > class. d’une pièce de tissu, planche de bois, plaque de métal, ou de toute matière de forme rectangulaire, pouvant être assez réduite en dimensions
>>> pour dire « une photo », on peut utiliser ces trois classificateurs
>cái ảnh
>chiếc ảnh
>tấm ảnh
ce qui est très beau
il y a donc ainsi une détermination de la manière de percevoir l’objet via un mot qui en donne la nuance
à 13h, sommes exactement à 16°22 et 67°50
parlant avec dorjan, sur le navigation bridge
l’assez forte houle d’il y a quelques jours a atteint tout de même des pics de 10°
ce qui n’est pas si mal, puisqu’à partir de 10°, l’ascenseur ne doit plus être emprunté
le pire qu’il a vécu, cap horn, 38° d’angle de roulis
tout ce qui n’est pas fixé vole et se brise
seule solution, changer de direction un temps pour rompre le mouvement de balancier
à nouveau, l’océan, bleu
ciel gris toujours
et des poissons volants en tous sens
aleksandar a lu tout à l’heure le poème croate
grincements et craquements du vaisseau en accompagnement sonore
avoir écrit, presque en aveugle, une partition dans la musique de sa langue
et toujours 10 moucherons par jour tués
les descendants des moucherons de Suez
délicieuse mangue fraîche au repas du soir
I took an extra mango
après la même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même
salade, arrosé d’un même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même même filet d’huile
à chaque nouvelle langue, retrouver cette question de lờ lờ
l’opaque
l’opacité le mur l’immensité d’un monde là, à portée, et absolument loin
le désir est immense, toujours
de chercher quel(s) chemin à définir, à inventer pour poser une présence
pour ouvrir un interstice de possible
être soi dans l’autre
c’est-à-dire comment
ça
comment
des formes qui veulent dire pour les autres
— ceux qui parlent / ceux qui la parlent / ceux qui sont en cette langue —
et qui ne veulent rien dire pour soi
comment leur faire dire quelque chose à soi
les reconnaître d’abord
le devenir familier
cerner des formes de reconnaissance possible
prendre tout en même temps
saisir tout et ne retenir que quelques-uns
revenir
saisir à nouveau
chaque jour
et en perdre à nouveau la quasi totalité
recommencer oublier
en même temps retenir la manière dont les formes premières s’agglomèrent
deviennent d’autres formes
alors
les formes deviennent peu à peu des mots
mais encore des mots à peine
encore flous
mờ mờ từ
des contours incertains
des ensembles aux formes en question
des bribes fugitives, au cours de la plongée, de quelque chose d’un texte à venir
mais l’opacité demeure
tout est trop récent
l’exposition commence à peine
sans profondeur
une surface de langue autre
une sensation de langue dans la langue
et un saisissement
à la fois curieusement intime, familier et absolument à jamais
rester irrémédiablement étranger à la langue dans laquelle j’écris / dans laquelle ça s’écrit (?)
à chaque fois
từng hồi trên lối viết
(dès qu’il y a écriture)
jeudi 17 août
J-6 avant port klang
mer d’arabie océan indien
réveillé à 4h20
par le son de l’horloge marine avançant de 20 minutes
comme ainsi cela se passe aux changements d’heure
une fois 20 minutes à 20h, une fois à minuit, une fois à 4h
sorti sur la passerelle
croissant de lune
une trouée dans les nuages
après la grosse pluie chaude d’hier soir
naviguer sous les étoiles ainsi c’est naviguer avec l’univers entier
en présence
dans la présence
le pont d’observation babord se balance au droit du mince croissant de la lune descendante
léger roulis
à 2°/3° à peine
ne me souviens pas d’avoir vu ainsi plus au nord le croissant finissant vers le bas
l’inde toujours, au loin, invisible
là d’où viennent les esclaves pour l’arabie
ciel couvert et pluie au loin
la piscine à nouveau emplie après un vide de 3 jours
cette fois l’eau de cet océan
plus fraîche — cependant chaude
13h
sommes à 11° nord et 73° est
continuons sur le même cap
à hauteur de l’inde du sud
après le déjeuner, retourné dans le coeur du monstre
parmi les hommes en sueur,
l’assourdissant,
la chaleur
et puis
après, rameur
les nuages sont des ombres sur la mer
à 16h33 à starboard side
une rupture de l’horizon
comme un trait de rotring dévié par une irrégularité du papier
puis qui reprend la ligne
un île
plate
et une tour au sud, quelques micro reliefs (des buissons ?)
cananore islands ?
à 18h, l’océan est vert sombre
compter les jours
compter les jours avant le débarquement
ce qui occupe cette partie de l’équipage
qui, aussi, s’arrête à port klang
quelque chose change ainsi de l’atmosphère à bord
ceux qui restent ceux qui partent
un équipage est donc un ensemble mouvant
selon les contrats
c’est un ciel de tous les nuages ce soir
à perte de vue
il fait déjà nuit au sud-est
à l’ouest
le jour n’en finit pas
le vietnamien résiste, à mesure que je m’y enfonce
cela résiste
pur principe d’archimède, en somme
aujourd’hui
vendredi 18 août 17
lever 6h30
aube avancée
océan calme
deux petits bateaux de pêche au loin
j’allume la tamashi
et les deux premières ondes de voix humaines
depuis deux jours
du tamil ?
ciel de tous les nuages ce matin aussi et de fragments bleus
où le soleil jeune du matin
air doux sur les passerelles
sol vert rambardes blanches
d’un côté les ondes d’inde du sud, en tamil
39,7 miles from the indian shores
à ce moment
7h30 heure du cargo
3h30 heure de france
de l’autre
le vietnamien toujours
toujours cette immense distance entre ce qui est lu sans l’apport du son
et le son sans la correspondance des lettres
c’est-à-dire à écouter ce qui est sans doute du tamil
je vois — littéralement, je vois les mots et les lettres — ce que j’ai déjà étudié
et c’est un gouffre
et ce vertige est éminemment désirable
appel infini
émotion sans cesse rejouée
ce qu’on entend est premier
vient la connexion avec la lettre
ce qui de son devient forme
ce moment d’apprendre
où le son se lie/t à une forme tracée
ce moment où se lie l’audible et le visible
inouï
et sans précédent
quelque chose d’infini se ferme alors
sans doute
quelque chose d’infini
se plie et s’oublie dans la forme tracée
qui prend le relais
l’émotion fluide du son du langage
à la radio, j’entends « barcelona » parmi tout le reste en tamil
du foot ?
l’émotion fluide de la langue quand elle est son seulement
quand le sens est dans le son
seul
dans les modulations du son
le son du mot module un rapport au monde
ce qui permet de prendre position
animalement
par cette part animale
le son est ce qui permet la survie
— supposons donc que les expériences (répétées par certains puissants — réelles ? (un pharaon, frédéric II de Hohenstauffen, etc.)
d’isolement total de nouveaux-nés de toute forme de langage ait conduit à leur mort au bout de peu d’années, sinon de mois
oh, en deux heures
8 fois la même pub sur une machine à laver !!!
c’est une radio assez minimale, avec des blancs entre deux bandes
ce qui semble être des bandes
bref, du blanc de radio c’est très rare
sommes en cap ssse
l’océan est noir
sombre
quand le soleil à l’est
enmirroire la mer
là où des trouées dans les nuages
4h44, 8h44
on s’éloigne des côtes
les ondes embruitées maintenant
et la connexion satellite a encore décroché
non, Barcelona means a terrorist attack
through the noise, I can hear bits and scraps from the news in english
hier soir, fini Roth, long
trouvé, dans un recoin de la « bibliothèque », factotum, de bukowski dans une vieille édition américaine de 75
commencé
à 9h15, les ondes ont totalement disparu
zone de pluie chaude
tout est blanc d’eau
l’horizon, fondu dans le blanc de l’eau chaude
dans le mouvement du bateau, les tourbillons de l’air autour des containers à tribord
des gouttes épaisses tournoient lentement et repartent vers le haut
puis se dissolvent
cette fois, le sable de suez, puis du yemen et d’oman
encore collé par le sel des embruns
va à la mer
au sortir, proche, un bateau de pêche rouge et blanc
en 5 minutes, sortis du blanc
à nouveau, le ciel multiple
13h
au large du sri lanka, maintenant
nouvelle zone de pluie chaude
terre invisible
et
ni ondes radios ni satellite
zone blanche et air blanc
15h,
des voix, à nouveau
de longueur d’onde en longueur d’onde
une semblance
et beaucoup beaucoup de pub
zone équatoriale
pluie toujours
quelque chose se dessine en vietnamien, à peine
mais quelque chose
poser des bases avant d’arriver à KL
l’océan s’agite un peu
samedi 19 août 17
où ?
ciel gris épais
levé en même temps que le tout début de l’aube
un peu avant 7h
c’est-à-dire un peu avant 6h d’hier
c’est-à-dire un peu avant 5h il y a 4 jours
vent arrière
les échappées de fuel brûlé passent à l’est, devant les hublots
à port side, deux gigantesques porte-containers au loin
remontent vers le nord
convergence des routes maritimes vers le détroit entre sumatra et la malaisie
pour l’asie
plus de bain d’ondes, le sri lanka est loin
me suis surpris à commencer à ranger deux trois choses
bukowski, quelque chose entre ask the dust et the road
darker, or desesperate somehow
maintenant, au loin, port side
des porte container, des pétroliers
se succèdent, remontent vers l’ouest, et le nord
roulis de 5°
le corps sait, maintenant
sent
pressent
incursions en iaai et en mapuche, pour voir à quoi m’attendre
en iaai — langue d’ouvéa, nouvelle-calédonie — les terminaisons des mots changent en fonction de l’appartenance de l’objet
mais je n’écris jamais dans cette question de l’appartenance, si ce n’est le « leur » ou le « son »
et la langue est d’une grande plasticité, dans l’ordre des mots
et parfois, quand l’objet est en début de phrase, le mot devient invariable…
toujours cette question — quelque chose d’une écologie des langues sur laquelle, d’ailleurs, il faut que je me penche plus :
comment, cette extrême diversité de solutions de sens
un agencement de sons aussi divers, pour tracer des chemins de compréhension, des images du monde perçu
certaines langues d’une précision inouïe sur certaines choses,
laissant dans le flou des pans de sens qu’une autre précisera d’une manière très ciselée
…
voir l’océan, et se projeter à terre
quelque chose se contracte
à midi, c’est-à-dire 7h en france
l’horizon a disparu
pluie drue, chaude
aaah, cette chicken pizza
aujourd’hui, agrémentée d’une herbe parfumée
…
as said ilija bacic, the captain, a party for each sea
the last one, for me, tonight, ended at 8
as for the others, more or less
friendly words
and share of the sunset after such a cloudy day
back to the swimming pool for me
twice today
fresh water, hot air, perfect
je laisse de côté pour le moment le vietnamien
dans trois jours, une autre terre, un autre mur de langue
repensé aux réponses de Rogelio en warai warai
quelque chose de profondément inhabituel à s’adresser ainsi à quelqu’un du dehors
à quelqu’un hors de sa famille ou de sa région dans sa langue
décidément, une langue est toujours un espaceS
dimanche 20 août 17
golfe du bengale
à une journée du détroit de Malaka
océan calme, ce matin
pas d’écume
sauf celle du sillage
nuages en traînes, soleil présent
quelque chose de violet dans le bleu sombre de l’océan
tous les quarts d’heure, vraquiers, porte-containers ou autre
à différentes distances
évaluer à l’oeil nu la distance
this one, said the captain yesterday at the deck A party
12-15 miles
this one, said the 2nd officer darjan, 10-15 miles
pas si précis, mais quelque chose déjà
depuis quelques temps
demander comment on évalue la taille d’un objet de loin
comment on calcule la distance d’un objet
seule réponse pour l’instant, un soir, de xavier l’architecte, en ardèche
avec la trigonométrie
mais sans méthode encore
n’ai pas encore rencontré quiconque, pour le moment
qui sache, de manière infaillible
l’enquête continue
l’océan a un mouvement lent, profond, nord ouest sud ouest
qui soulève le navire en douceur, comme si une simple branche
dans quelques heures, les îles nicobar et la pointe nord de sumatra
et puis, le « channel » de ces parages, le détroit de malaka
passage obligé vers l’ensemble des ports asiatiques
le trafic va être dense
à bord, depuis le havre jusqu’à port klang
il y a aleksandar, monténégrin de novi sad, second après le master, chef officier, 32 ans
il y a Ilija bacic, master, capitaine, croate de rijeka, né en 1958
il y a darjan, de rijeka, croate, 32 ans, né en 1985, 2nd officer
il y a damjan, referman, electric assist, croate de rijeka, né en 88
il y a marius cristi, electric assist, roumain de rimnicu sarat, né en 92
il y a jure boban, croate de rijeka, né en 92
il y a dragomir, chief ingeneer, né en 66, croate de rijeka
il y a riko, de zadar, 2nd officer, croate né en 89
il y a marijo, croate de desne, 2nd ingeneer, né en 59
et les autres
il y a ruiz, philippin de manille, né en 93, oiler
il y a roel, philippin de san fernando, né en 79, cuistot
il y a roger (rogelio), philippin de pambujan no samar, né en 68, messman
et tous les autres
il y sarra, marocaine de marrakech, née en 94, et mohamed, tunisien de sousse, né en 94, cadets
alexsandar est carré
très
première chose qu’on remarque, sa carrure
et quand il est en manches courtes, l’épaisseur des muscles
curieusement, sans que ce soit trop
au u desk, il supervise l’ensemble des opérations à bord
hors le watch et la navigation
comme tous les autres, remplit des papiers et des papiers
manage l’équipage
répartit les tâches des philippins
marié, deux enfants
dont un petit de 1an et demi quand ils sont allés à la montagne
et qui s’est précipité sur les strawberries
il fallait voir les kids, gorgés d’énergie, courir partout
alors disant, ému — avec mesure
aleksandar a travaillé sur le poème en croate avec moi, a repris ce qui n’allait pas
dans les formes des mots, m’a guidé dans le choix de certains plutôt que d’autres
c’est sa voix que j’ai enregistrée pour mon entraînement
multitask man, je l’ai vu un jour démonter la machine de course en salle de muscu
et la réparer de jour en jour, quand il avait le temps
il s’est occupé de remplir et vider la piscine régulièrement
de vérifier le filtrage de l’eau
il parle croate avec l’accent du monténégro
pense qu’il y a trop de marchandises en circulation
que ça doit se terminer, à un moment, l’augmentation permanente des volumes
ce qu’il gagne lui suffit
a pu acheter un bon appartement quand les prix ont baissé
une fois que les allemands se sont désintéressés de la région
il y a le capitaine, ilija bacic, qui a de délicieux souvenirs à Ha Noi (riant)
I can imagine
all depends of what you like, he says
ne connait pas le chili
imagine que là-bas aussi il aurait eu de bons souvenirs
à son arrivée au havre
tout l’équipage tendu
puisque maintenant tous détendu
la mesure de la tension, possible dans cet a posteriori
nouveau capitaine, nouvelles règles
à table, seul à parler, la plupart du temps, avec dragomir
chief ingeneer
parfois, s’adresse aux autres
qui alors, répondent
rarement des conversations en parallèle
mais ça se détend de jour en jour
ilija bacic a une fille, qui reste dans sa maison, puisque quand elle sort
n’entend parler que d’argent
father, she says, why should I go in town when people are only talking about money
aujourd’hui, dans l’esprit des jeunes, il n’y a que l’argent
aujourd’hui, rien d’autre ne compte
aujourd’hui, la nouvelle génération des officiers ne sait plus vraiment utiliser les instruments
manuels de navigation, compas, sextant
la navigation aux étoiles se perd
les ordinateurs, par contre, ceux qui dirigent tout à bord
oui, ils savent
me, i have issues with my smartphone, he says
avec les cadets, c’est pire encore, le matériel n’existe plus
parfois le capitaine n’est pas rasé
aux ports, et comme pour chacun, l’uniforme est de rigueur
il porte le sien, curieusement coupé, avec puissance
une autorité qui n’a pas besoin de ça, cependant
parfois, le soir des partys, il porte une chemise orange de pilote de moto dans le désert
sur un maillot de corps blanc
il est sec, petit, écarte l’espace de son grade
jure (yuri, à l’oreille), est jeune, musclé, droit
cheveux coupés très courts
sauf une masse sur le desssus de la tête, retenus en touffe par un élastique la plupart du temps
et laissés en mèche soudain abondante, parfois
joue à la PS souvent
s’occupe des plannings
et comme tous les officiers
est de quart au watch
de 4h en 4h chacun
sauf Riko, le plus jeune des 2nd officer,
qui fait tous les jours 6h 8h, 18/20h
il y a toujours sur le bridge un officier et un philippin
jure parle croate fort, rit, viril
often says that fucking shit… (about whatnot)
darjan
presque tous les jours vers 18h en salle de muscu, soulève des poids
musique à fond
deux boucles d’oreilles assez baroques, mais un baroque discret
porte parfois un tee-shirt pride or die
grand
toujours coiffé au millimètre, une coiffure à l’ancienne
cheveux épais et noirs, courts
fait souvent des mouvements de bras, et d’épaules
comme pour accompagner un verbe parfois déficient
quelque chose de non-fluide dans la répartie avec les autres
souvent absent des repas — ce sont ses heures de watch
damjan bosse aux moteurs, avec marius cristi, le roumain
venu en renfort au havre, et qui débarque aussi à port klang
damjan et marius sont chargés de l’entretien et de la surveillance des conteneurs réfrigérés
et de remplacer les lampes
assistants électriciens
dajan veut devenir ingénieur électricien
ne plus devoir travailler dans la chaleur et le bruit assourdissant de la salle des machines
joue au ping pong sur une table
posée au milieu d’un des compartiments gris de la zone moteur
il n’aime pas recevoir les jérémiades de sa copine à terre
who gives a shit to that ?
damjan déconne souvent
marius cristi parle en anglais avec les croates
c’est donc pour cela que les premiers jours il ne parlait pas à table
comme riko qui venait d’embarquer
— le temps de se connaître, d’apprendre à travailler ensemble
marius arrive souvent en short gris de survêt au déjeuner baskets noires avec lacets orange fluo
a vu tous les continents
déjà
aux escales de chargement, aime sortir quelques heures à terre
pour boire des verres et voir du monde
because at sea, you know, you always see the same people
ruiz parle le mindanao, avec sa famille
il est ingénieur, mais travaille comme simple graisseur au niveau de la zone moteur
dans la chaleur assourdissante
n’aime pas que sarra la cadet marocaine débarque après-demain
rit souvent
cheveux très noirs, en masse, désordonnés aussi
épais, tiennent dans leur forme
mince
porte des shorts à carreaux longs
c’est lui qui est allé retrouver sa mère à Dubaï
roger rogelio
les micro conversations quotidiennes avec Roger
qui a un ami photographe allemand qui s’est installé aux philippines
travaille 4/6 mois par an puis revient aux philippines
roger (rodger) se rase la tête tous les deux jours
a une excroissace de peau au dessus de la joue gauche
des dents très écartées — ou il lui en manque une sur le devant
Roger a 49 ans
il a vu — ça a été la pire chose qui lui soit arrivée — sa maison détruite
par un typhon il y a plus de dix ans
entièrement
ne restait rien
il ne vit pas dans un bel endroit, dit-il mais près de la mer
il change de tenue — comme chacun d’ailleurs, sauf le cooker — qui ne change pas d’activité
selon l’activité
il a souvent des taches sur le polo avec lequel il sert
il sourit beaucoup, parle en warai warai avec sa famille et ses amis
habite loin de Manille, 1000 km
ira dans quelques mois voir l’agent cma-cgm pour un autre contrat
travaille depuis 17 ans en mer
d’abord sur des paquebots, il a été waiter
me demande toujours avant de servir si je veux des potatoes
no thanks
n’apporte plus de pâtes mais le riz des philippins à la place
ah, last day today, he said this morning, coming in the cabin
ne sait pas s’il devra se lever à 2h du matin avec les autres philippins
mardi 22 pour prendre l’avion de 8h
passer la douane, etc.
il n’y a que deux avions pour manille au départ de KL
au moins le 100e moucheron tué, à 17h
bateaux de plus en plus nombreux
une centaine croisés — ou dépassés — aujourd’hui
à nouveau, à tribord, des baleines
en direction de l’inde, à l’ouest, derrière nous
les ricochets des poissons volants, à partir de l’écume créée par la masse de métal
à nouveau, des morceaux de plastique, blancs et colorés
le mouvement de l’océan est vaste
soulève la masse qui oscille en douceur
maintenant, les mouvements, l’ensemble des mouvements
et de leurs forces
dans le corps
un méthanier à starboard side
18h02
to all crew and passenger
please be advised that tonight all clocks will be advanced by one hour
I’m(sic) repeat
please be advised that tonight all clocks will be advanced by one hour
thank you and good apetite
la voix de riko
en ce moment au navigation board jusqu’à huit heures
21h00
comme tous les soirs, roger jette à la mer les reliefs
de ce qui n’a pas été mangé aujourd’hui
le sac de papier s’éclate dans l’écume, tout se disperse
sous le choc
pour la première fois depuis deux jours
des ondes bruissent à peine, quelque chose comme un prêche
en indonésien (?), perdu encore dans le bruit
le cargo avance dans la nuit
laisse le jour derrière lui, à l’ouest encore en lueur
vers l’inde l’arabie la méditerranée l’europe
ciel rouge et jaune encore, selon les nuages et leur altitude
le bleu vire au vert
derrière les puissants échappements brun chargé du moteur
devant, la thaïlande
et au sud, invisible dans l’ombre
l’extrême pointe de sumatra
à tribord, un bateau pêche à la lumière
position à 20h00
6°15.6 N
95.12.7 E
bandah aceh à tribord, pas loin
magnifique
je viens de trouver dans l’ordi (quand ai-je chargé cela ?)
a grammar of achenese
on the basis of a dialect of north aceh
par mark durie
numérisée du fonds de la bibliotheek kitlv
et publié à Dordrecht, hollande et Cinnaminson, E-U
je vais voir de ce pas ce qu’il en est
…
au navigation bridge
jure boban n’est pas réveillé, un café à la main
prend son quart jusqu’à minuit
il vient de lancer les 20 premières minutes de la nouvelle heure
le navigation bridge s’enfonce dans le noir
seuls les écrans et les diodes
les hommes, observent, dans le noir
et suivent les écrans
le radar est l’oeil dans la nuit
aujourd’hui lundi 21 août
6h30
détroit de Malaka
cap sud-est
dernier jour en mer avant KL
aube grise, des étoiles encore
après l’orage éclatant de cette nuit
pourtant lointain
petites barques de pêche
plus personne sur les ondes pour le moment
7h20
une barrière de nuage en raz de mer frange l’horizon
diffère le soleil
l’air, chaud, déjà
pas de moucherons encore, hublot ouvert
l’air d’asie entre
aujourd’hui, à un moment
rassembler, replier, serrer, entrer dans le bon ordre
dans le sac à dos
refermer les méthodes et dictionnaires
cahier
serrer dans la valise/sac à dos
à un moment
se préparer à ce poids
7h36 le soleil
là
à .40
entre à l’instant dans la cabine
passé au-dessus du mur de conteneurs
mer étale, objets flottants divers
les ondes sont encore du bruit
back to acehnese
to see if something could happen
there
ça et là, petites barques de pêche
courtes ou plus longues, avec des auvents pour se protéger
la journée
au loin, masses sombres imposantes des porte-containers
masses plus fines des tankers, château arrière, et autres transports
de matières
l’eau est une surface en pvc noir
je pars demain avec une partie de l’équipage
let’s see at what time
in the morning
when asked « what is the ocean for you, what does it mean, the ocean, for you »
the master replied
ouh, very easy and heavy question
how could I say that
it’s a power
it takes you all and gives you power
and to feel yourself so little
such a space
there are tens thsousands of ships every moment
all over the world
and each disappears in such a space
you were lucky, you had very nice weather
but, to know what the power of the ocean can be
only a storm gives that to you
ici dans le détroit de Malaka, l’océan est une mare
étale
fluide
épaisse aussi
une huile
une peau de peinture plissée
je viens de comprendre à quoi servaient les crochets près de certains hublots
à les maintenir ouvert
je les coinçais avec les mauvais livres de la « bibliothèque » de bord
…
horizon de navires
désert des ondes
that infinite open space
says aleksandar
a mind with no limits
at sea
only that way
en acehnese, cette langue parlée sur la terre
dépassée depuis cette nuit
l’avoir s’exprime par l’être
c’est-à-dire
on dit je être père encore
pour j’ai encore un père
ou il ne pas être chemise
pour
il n’a pas de chemise
> jih hana bajee (il ne pas être chemise)
>lôn mantöngnaayah (je encore avoir (na) père (ayah))
:-)))
à midi, la radio est toujours désertée
à 13h05 nous sommes à
3°.46.1266 N
99°.50.3800 E
le détroit est brumeux
north sumatra shores not visible
à 16h15
deux eaux se rencontrent
une frontière visible entre une eau bleue et une eau
plus verte
à quelques heures de port klang et du fleuve klang
ça se plie
17h45, les grues du port en vue
dans la brume bleutée
à port side
une soixantaine de grues attendent les porte-containers
gigantesque port
l’entrée est dépassée
et changement de cap 45°
derrière d’autres porte-containers
file d’accès
partout
autour
petits bateaux de pêche
19h
le soleil couchant entre dans la cabine
19h05
les deux premiers oiseaux de terre autour du navire
à starboard side
la côte de l’estuaire
une forêt dense
au bord de l’eau
saumâtre verte saturée de terre jaune
avant les installations portuaires
des dizaines de bateaux, de pêche, cargo, vraquiers
cargo-car
attendent leur tour
19h20
de part et d’autre, la côte
plate
boisée
les premiers ou derniers troncs de la forêt dans l’eau
les industries portuaires gagnées sur les arbres
ondes radios emplies d’un autre bruit
I’m a pretty pretty girl
un peu avant, le Coran
plus loin, des tubes indien
plus loin, des tubes chinois
entre
du tagalog du malais
l’approche du port est lente
ici, les grues sont bleues
ici, comme à khorfakkan, les hommes font le travail
qui ailleurs est automatisé
20h10
à quai
…
traversé